Le chant de la prairie suffit à mon bonheur [Camille]

Aujourd’hui rien n’allait. Enfin, c’était plutôt depuis la veille au soir que rien n’allait. Camille avait finalement fait une crise à Almara, lui qui pensait que tout ça était déjà derrière lui. Il avait du mal à accepter le fait de n’avoir pas réussi à se contrôler. Pourtant Camille n’avait rien à se reprocher, ce genre de chose ne guérissait pas si facilement et dans un moment de relâchement, sa petite voix intérieure avait pris le dessus et il avait mangé pour la satisfaire … Il avait mangé, il avait mangé jusqu’à en avoir mal. Il avait mangé jusqu’à en vomir … Il se dégoutait tellement …

En plus pour couronner le tout, il avait eu droit à une séance de psy supplémentaire et à quelqu’un qui surveillait de près comment il se nourrissait aujourd’hui. Il n’avait pas eu le droit de jeûner aujourd’hui. Il devait reprendre des habitudes alimentaires normales et au plus vite, c’est ce que lui avaient dit toutes les personnes avec qui il avait interagi depuis. Mais c’était très dur. Il devait lutter contre beaucoup trop de choses, lui-même, les conseils des soignants … Il en avait marre. Même Vagabone semblait aujourd’hui de mauvaise humeur. Alors Camille fit ce qu’il savait faire de mieux : courir.

Il s’éloigna de l’écurie principale et prit un des chemins à travers les prés, dès qu’il fut sûr d’être seul, pour n’être dérangé par personne, il se mit à courir. Mais ce n’était pas une course au rythme habituel. Cette fois, il courait pour extérioriser toute sa frustration, jusqu’à en avoir des crampes dans les cuisses, jusqu’à ce que ses poumons lui brûlent, jusqu’à ce qu’il en vomisse.

Camille s’arrêta en urgence près d’un arbre, hors d’haleine et laissa le contenu de son estomac se rependre dans l’herbe. Il savait que c’était mal, il n’aurait pas dû faire ça … Il essayait de se rassurer en se disant qu’il ne s’était pas fait vomir volontairement, mais qui duperait-il ainsi ? Il savait qu’il avait exactement cherché ce qui lui arrivait. Mais il avait besoin de courir pour se sentir bien et maintenant qu’il n’avait plus de nourriture dans le ventre, il se sentait un tout petit peu mieux. Enfin, en oubliant ce sentiment de culpabilité amplifier par le regard de ce minuscule poney qui ne le lâchait pas des yeux, se demandant ce qu’il fabriquait si près de son enclos.

« Pourquoi tu me regardes comme ça ? T’as jamais vu quelqu’un vomir ? »

Camille se redressa un peu, s’essuyant la bouche. Un peu plus loin dans le champ un groupe de chevaux semblait agglutiné à un endroit. Il ne voyait pas très bien ce qu’il se passait, mais les chevaux n’avaient pas l’air perturbé, juste très intéressés. Qu’est-ce qui pouvait bien les attirer comme ça ? Et surtout, pourquoi ce poney-là ne faisait pas comme tous les autres et n’allait pas voir ce qu’il se passait ailleurs ? Pourquoi avait-il fallu qu’il soit témoin de ça ? L’adolescent sentit sa gorge se serrer et ses yeux lui piquer. Qu’est-ce qu’il détestait être dans cet état…

« Personne ne m’en voudra si je rentre dans ton champ, non ? Dis-moi juste que tu n’es pas un réfractaire aux câlins… J’en ai vraiment besoin là… »

Le blond se glissa sous la clôture et s’approcha doucement du poney, il se mit à genoux devant lui et lui enlaça l’encolure, enfuissant son visage dans l'épaisse crinière de l'animal, avant de se mettre à sangloter. Comme si ce dernier comprenait, il ne bougeait pas d'un millimètre et laissait Camille se consoler dans ses crins.

Camille était tellement perdu dans ses pensées, qu’il n’entendit rien autour de lui, alors sa surprise ne fut pas feinte quand ce dernier entendit une voix le questionnant. Il sursauta, faisant à son tour sursauté le poney qui ne s’attendait pas à cette réaction de la part de l’adolescent.
Il se releva, prenant bien soin de ne pas regarder la personne qui l’avait interpellé. Il s’essuya les yeux et après quelques secondes pour reprendre possession de ses moyens, il finit par se retourner vers son trouble-paix en affichant son sourire habituel.

« Ah … »

Le blond n’était pas vraiment surpris de se retrouver en face du palefrenier. C’était même plutôt logique de se retrouver là avec lui. Et puis c’était déjà mieux que de se retrouver avec un autre résident … Mais maintenant qu’il se retrouvait avec de la compagnie, Camille se demandait s’il avait le droit de venir là ou pas. Après tout son cheval ne se trouvait pas du tout dans les pâtures. Mais bon, est-ce que c’était marqué quelque part qu’il n’en avait pas le droit ?
Après tout, tout le monde savait qu’il courrait vers ici, ce n’était un secret pour personne. Et puis, il n’était pas très à l’aise de s’être quasiment fait prendre en train de vomir. Si ça remontait aux oreilles de la direction, il allait avoir droit à encore plus de séance de psy … Et ça, il ne voulait pas.

« Je fais un câlin à un poney, pourquoi ? C’est interdit ? »

Camille se décala un peu, mettant bien le poney entre Jérémie et lui. Et surtout il espérait que ce dernier ne remarquerait pas ce qu’il y avait par terre, de l’autre côté de la clôture. Il espérait fortement, que si jamais Jérémie remarquait "ça" il ne ferait pas le lien avec Camille.

« Et toi, tu fais quoi ici ? »

L’adolescent se sentait un peu pris au piège, et sa nervosité commençait à remonter. Il savait qu’il affichait clairement une tête de coupable, et pourtant il n’avait pas vraiment fait quelque chose de mal. Enfin … À part pour lui-même, mais ça, ça ne comptait pas vraiment, si ?

Camille ne lâchait pas Jérémie des yeux, essayant de garder son attention en bougeant légèrement de manière d’éloigner son regard de la scène du crime.

« J’ai déjà fait ce que je devais faire à Vagabone et elle n'a pas l’air de vouloir de compagnie aujourd’hui … Donc, je vole le cheval des autres pour avoir un peu d’affection. Ça te dérange ? »

Camille était clairement sur la défensive et ça uniquement parce qu’il se sentait pris au piège. Il n’était pas du genre agressif en temps normal, mais comme tout animal mis au pied du mur, il répondait par l’attaque. Et puis, ça lui ferait peut-être du bien de se disputer avec quelqu’un. Et au diable le choix de son adversaire … Jérémie n’avait clairement rien fait pour ça, mais il était là. Et le blond savait que l’homme en face de lui avait du répondant. Alors ce n’était pas si mal en fin de compte ?

« Tessa n’est pas la seule démone que je côtoie. J’en ai un paquet dans la tête qui me pourrissent la vie. Tu te rappelles qu’on est tous dingue ici ? Enfin, je parle uniquement des résidents. Je ne veux te mettre dans le même panier que nous. »

L’adolescent gardait sa main sur l’équidé qui était resté entre eux deux. La chaleur de ce dernier avait quelque chose de rassurant. C’était une des choses qu’il aimait le plus chez les animaux, leur chaleur. Ce n’était pas quelque chose que les humains lui avaient donné, jamais, même si ses parents avait été gentil avec lui, il ne faisait pas partie des personnes les plus affectueuses du monde.

« Et donc, tu n’as rien d’autre à faire que de me fliquer ? »

Camille gardait son aplomb devant son interlocuteur. C’était exactement ce qu’il avait cherché. Et quand Jérémie commença à s’éloigner de lui, le blond commença à perdre de sa superbe. Oui c’est ce qu’il avait cherché, mais avait-il vraiment envie que Jérémie parte. Il était le seul à qui il s’était confié volontairement. Et il le traitait comme ça ? C’était inadmissible et il en avait conscience. Il se coportait comme le dernier des cons.

Camille esquissa un pas vers l’homme et se ravisa avant de l’interpeller :

« A … Attends ! Excuse-moi Jérémie … Je … Je voulais pas t’énerver. Enfin si … Mais, là n’est pas la question. J’ai pas dormi de la nuit, et je suis pas très en forme psychologiquement parlant … Je me trouve des excuses, mais … je te jure que c’est vrai, je m’excuse. Je ne veux pas que tu te fâches contre moi. »

Il baissa la tête, continuant ses explications :

« Quand je ne vais pas très bien je fais des trucs complètement stupides. Ne m’en veux pas, enfin, tu fais comme tu veux. Je ne veux pas te commander. Mais sache que c’est pas vraiment moi qui parle en ce moment. »

Et niveau truc stupide, Camille maîtrisait ça plutôt bien. Il n’avait jamais eu d’idée suicidaire, ou ne s’était jamais mutilé. Mais quand il lâchait prise, il adoptait toujours des comportements inappropriés. Que cela soit là, en provoquant sans raison le palefrenier qu’il idolâtrait, ou il y a quelque temps en accordant des faveurs sexuelles à des inconnus contre un peu d’argent.

Même s’il avait encore du mal à l’accepter, il était perdu. Et même s’il se sentait bien mieux ici, à Almara, il avait encore beaucoup de chemin à faire avant de se considérer comme guérit. Et surtout il fallait qu’il cesse de se comporter comme un connard.

« Putain j’ai vraiment l’air d’un détraqué en disant ça. »

Le blond cacha son visage dans ses mains et se remit à pleurer en essayant d’être au maximum silencieux, mais sa voix trahissait ce qu’il faisait.

« Je t’aime bien Jérémie, je t’en supplie, ne me déteste pas ... »

Camille ne voulait pas lâcher l’affaire. Il n’avait jamais abandonné facilement et ce n’est pas maintenant qu’il allait commencer. Il avait peut-être du mal à s’exprimer, il n’avait pas l’habitude de parler de ce qu’il ressentait, mais s’il ne le faisait pas maintenant, il sentait qu’il n’allait plus en avoir l’occasion. Il avait parfaitement conscience de s’être comporté comme un connard, mais c’était purement un mécanisme de défense …

« Je n’ai pas besoin d’un psy là … J’ai juste besoin d’un ami … Et oui, je sais que je m’y prends comme un pied pour attirer ton attention. Enfin, non, c’était plus pour te faire fuir, parce que j’aime pas qu’on me vois comme ça, je pensais être seul ici. Et puis, je me suis sentit pris au piège … J’ai vomi juste derrière, je voulais pas que tu t’en rendes compte … »

Alors qu’il se laissait envahir par sa détresse et que ses larmes se remettait à couler, l’adolescent sentit à ses côtés que le poney cherchait à attirer son attention. Il tourna son visage vers ce dernier et le caressa doucement essayant tant bien que mal de contenir ses sanglots. Et, quand la dernière réplique du palefrenier arriva, Camille mit quelques secondes avant de réagir. Mais il sentait la colère monter en lui, il releva ses yeux plein de larmes vers Jérémie et plongea son regard dans celui de glace de son interlocuteur.

« En tant que spécialiste des trucs stupides, je suis sûre que t’apprécier n’en est pas un. Mais après tout, c’est peut-être moi qui suis entièrement stupide alors. »

Il prit une grande inspiration pour calmer les trémolos qu’il avait dans sa voix.

« Tu es mon exemple Jérémie. Je te trouve super, c’est même plus que ça, je t’admire. Tu es très doué avec les chevaux, tu es gentil, tu es patient, mais tu ne me traites pas non plus comme une pauvre petite chose et ça, j’apprécie vraiment. Tu es la première personne à qui j’ai parlé de ce qui m’était arrivé sans y être obligé. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai confiance en toi. Et tu pourrais me demander n’importe quoi, je le ferais pour te faire plaisir. Mais, me demander de ne pas t’aimer … Je peux pas … Oh et puis merde, laisse tomber. Je suis en train de me ridiculiser. »

Camille baissa la tête et retourna s’occuper du poney. Il essayait de démêler les crins drus de l’animal avec ses doigts tremblants. Il commençait à regretter d’avoir engagé la conversation avec Jérémie. Il se sentait encore plus mal maintenant qu’en début de journée.

Le blond encaissa la dernière réplique de son interlocuteur. Et sans quitter son poney des yeux, les mains toujours dans sa crinière, il répondit simplement.

« Connaître ou non les gens ne sert à rien. On se fait toujours avoir en fin de compte. »

Et ça, Camille en avait fait l’amère expérience. Il avait eut une confiance aveugle envers son coach, il n’avait jamais prêté l’oreille aux rumeurs. Ce disant qu’un homme aussi gentil et attentionné ne pouvait pas faire de mal à une mouche. Le garçon était tombé de très haut quand avait commencé ses longs mois de supplice.

« Donc, je m’en fou de ne pas connaître les moindres détails de ta vie. Je me fie à ce que j’ai vu. Tu es venue m’aider quand j’en avais besoin, tu m’as encouragé, à ta manière, mais tu ne m’as pas mis de pression non plus. Tu m’as écouté et tu m’as cru quand je t’ai dit qu’une fille de la carrure de Tessa avait réussi à me tabasser. Tu m’as même attendu quand j’étais à l’infirmerie … Tu as quasiment fait plus pour moi en quelques rencontres, que ce que mes parents on fait pour moi depuis que je suis né. »

Il n’avait jamais été maltraité, il n’avait jamais manqué de rien. Et qui était-il pour se plaindre d’avoir des parents qui s’intéressaient de près à ses activités ? En rencontrant les autres résidents d’Almara, Camille se sentait un peu illégitime de se plaindre. Et pourtant, petit à petit, il prenait conscience qu’il n’avait été qu’une sorte de poupée pour ses géniteurs. Une poupée qui devait agir comme on lui disait, faire ce qu’on lui disait et ne surtout pas sortir du cadre qu’on avait décidé pour elle.

Sauf que, malgré tous les efforts qu’il faisait, il ne lui avait jamais semblé être à la hauteur. Il y arrivait parfois et était heureux de voir ses parents être fier de lui. Mais, il savait que ce n’était jamais assez. Alors, quand Jérémie, qui lui avait clairement dit qu’il n’avait pas à s’occuper de lui, l’avait aidé, Camille s’était dit que finalement il pouvait exister sans devoir quelque chose en retour à quelqu’un.

« Donc toi non plus tu n’as pas le droit de m’interdire de d’apprécier pour ce que tu fais pour moi. Tu peux t’énerver, tu peux me repousser, mais cela ne changera rien de mon côté. »

L’adolescent avait vaguement conscience qu’il s’était peut-être un peu trop attaché rapidement au palefrenier. Mais il s’en moquait royalement.

Rien d’incroyable … Jérémie pouvait bien le répéter encore un millier de fois, pour Camille, c'était incroyable. Pas que l’on n’avait jamais donné du crédit à ses paroles avant, ça, ça aurait été mentir. Mais, il devait bien l’avouer depuis qu’il lui était arrivé ce qui lui était arrivé, l’adolescent avait perdu toute foi en l’humain. Il ne s’apitoyait pas sur son sort, au contraire, tout ce qu’il voulait s’était pouvoir rebondir et continuer sa vie. Mais, quand les personnes en qui vous avaient le plus confiance vous trahissent, c’est plutôt difficile à surmonter.

Alors, devant ce qu’il prenait de la mauvaise foi de la part de son interlocuteur, Camille souffla entre ses dents, la mâchoire serrée.

« Alors pourquoi tu m’as attendu à l’infirmerie ? Tu n’avais aucune excuse-là … »

Et c’est peut-être là que Camille avait flanché. Il appréciait déjà Jérémie avant, mais là, ce qu’il avait fait l’avait touché en plein cœur. Il avait conscience qu’il s’était comporté comme un gamin lors de cet épisode, mais l’homme l’avait écouté et attendu et n'avait rien demandé en retour. Et c’était beaucoup pour le blond.

« Je te demande rien, absolument rien. Je veux juste que … Que tu saches que je t’aime bien. Et quoi que tu penses de moi, je … Je changerais pas d’avis. Et surtout ne penses pas que je dis ce genre de chose à n’importe qui. »

Ses parents avaient osé lui imposer le silence, l’avaient culpabilisé de ne pas s’être défendu, et, comble de tout lui avait demandé de faire comme si tout allait bien. Comme à son habitude, Camille avait obéi. Tout pour ne pas décevoir ses géniteurs. Il y avait même cru pendant un court moment. Il avait espéré que tout redevienne comme avant, sa petite vie tranquille de gosse pourri gâté … Mais rien n’avait changé, rien. Jusqu’à ce qu’il explose et fuit de chez lui, enchaînant les mauvaise décision. Et, à partir de ce moment-là, il y avait une chose que le garçon s’était jurée, s’il avait quelque chose sur le cœur, il ne retiendrait plus ses paroles. Que cette chose soit positive ou négative. Il avait compris qu’on ne gagnait rien à garder ses sentiments sur le cœur. Et malheureusement pour le palefrenier, s’était tombé sur lui.

Camille se sentit un peu mal en entendant le soupire de ce dernier. Il n’était clairement pas payé pour entendre ses inepties.

« Je suis désolé de te faire subir ça. Mais, j’en ai marre de toujours penser et faire ce que les autres veulent ou attendent de moi. Pour une fois je veux faire quelque chose pour moi. »

Camille afficha un air dubitatif devant la réponse de son interlocuteur.

" Évidement c'est ce que je voulais ... Mais ... rien ne t'obligeait à faire ça pour moi. Enfin, si la pitié peut-être, mais il ne me semblait pas que ... enfin, que tu avais pitié de moi. Et puis, pour être franc, j'étais persuadé que tu n'allais pas rester ... "

Le jour de son altercation avec Tessa était à la fois gravé de manière indélébile dans sa mémoire, mais, cela restait quand même plutôt flou sur pas mal de point. Il ne savait plus si c'était à cause de son état physique ou de son état mental, mais il lui manquait pas mal de morceaux. Donc, il était incapable de garantir que Jérémie n'avait pas eu pitié de lui : que ça soit pour son état physique, que pour les révélations qu'il lui avait faites sans vraiment le faire exprès.

Puis, finalement Jérémie capitula, non sans un avertissement.

" Je ne veux rien de plus. Reste juste comme tu es et continues de me traiter comme quelqu'un de normale. Tu peux pas savoir comme ça me fait du bien. C'est peut-être le seul truc qui cloche ici. On nous traite toujours comme des petites choses fragiles quand ça va pas. Mais toi, de ce que j'ai cru voir, tu t'en moques que quelqu'un m'est violé ou même que je vienne de vomir ... Tu me traites toujours normalement. Vu que j'ai fait une crise hier, les autres adultes me traite comme un sucre aujourd'hui ... et je déteste ça ... "

Camille avait parlé sans trop reprendre son souffle et s'arrêta donc, toujours fébrile. Il savait que son discours n'était peut-être pas à cent pour cent cohérent, mais vu son état de nervosité actuel, il espérait qu'on le lui pardonnerait. Il soupira essayant de reprendre contenance. Il avait trop d'émotion contradictoire en lui et là, ça commençait vraiment à l'étouffer. Il avait à la fois envie de hurler, de pleurer, de frapper quelqu'un, de se rouler en boule dans un coin ou de serrer quelqu'un contre lui.

"Mais aujourd'hui plus qu'un autre jour, j'ai besoin de me sentir comme tout le monde ... Et pas comme le mec qui s'apprête à faire une connerie. Et de toute façon, la connerie est déjà faite ... "

Dit-il en désignant l'endroit où il avait vomi. Camille s'éloigna légèrement du poney pour se rapprocher un peu de Jérémie. Il voyait très bien qu'il enquiquinait ce dernier, il tenta donc de désamorcer totalement la situation qu'il avait lui-même créer. Il tendit sa main vers le palefrenier.

" Sans rancune ? "

Camille finit par baisser sa main, réfléchissant un instant, avant de répondre à la question du palefrenier.

« Me comporter normalement ? Je crois que j’ai jamais vraiment eu de relation normale avec quelqu’un … Donc je sais pas trop comment on fait. »

Puis, Jérémie affina ses pensées et Camille compris un peu mieux ou il voulait en venir.

« Aah … »

Le blond prit le temps de bien organiser ses pensées cette fois, mais aussi, de bien réfléchir à ce que l'homme qui lui parlait, lui faisait remarquer. Lui aussi n’avait aucune idée du pourquoi du comment il se comportait comme ça avec cet homme. Camille avait énormément de mal à parler de ce qui lui était arrivé, même avec les psy qu’il avait déjà rencontré il lutter pour en dire le moins possible, la honte et la culpabilité d’avoir été aussi faible, l'empêchaient de s’exprimer librement.

Mais, c’est vrai qu’avec Jérémie, tout cela était plus facile. C’était incompréhensible, mais l’adolescent avait beaucoup moins de mal à parler avec lui qu’avec quiconque.

« Je ne sais pas vraiment pourquoi, avec toi, j’arrive à parler ... Je sais très bien que tu n’es ni mon égal, ni mon ami … Mais, quand je t’ai demandé de l’aide la première fois, je me suis senti à l’aise. Ça n’a pas de sens mais c’est comme ça. Peut-être parce qu’au final tu es assez distant et que ça me rassure ? Je me sens en sécurité quand je suis seul avec toi. Et tu ne me mets pas la pression. Je sais qu’on a pas beaucoup échangé en fin de compte, mais … Je sais pas vraiment, c’est pas très logique pour moi non plus … Mais bon, je tourne pas très rond dans le fond, on le sait tous. »

Camille rit pour détendre l’atmosphère, mais il était toujours assez gêné par la conversation. Même s’il ne l’avait pas dit clairement, il considérait son interlocuteur comme une sorte de confident accidentel. Ni lui et ni Jérémie ne s’attendait à ça. La preuve en était du discours que ce dernier venait d’avoir. Mais c’était arrivé.

« Euh, si ça te perturbe vraiment … Et vu ta tête, je mettrais ma main à couper que oui. Je peux essayer d’être plus distant … Mais … Non, si c’est ce que tu veux, je peux essayer. Mais ça ne changera pas ce que je pense de toi. »

Il sourit timidement avant de retourner attention vers le poney qui s’était mis à brouter entre eux deux.

Camille pausa à nouveau la main sur le poney qui avait décidé que l’herbe près de son pied était décidément meilleure que celle ailleurs dans l’immense champ.

« Si, ce poney à l’air tout à fait sain d’esprit. Et Vagabone l’est aussi ! »

Encore une fois, rien qu’à l’évocation de sa jument, le visage de l’adolescent s’illumina. Il idolâtrait vraiment Vagabone. Cet animal avait, à lui tout seul, regonflé le cœur tout sec qu’il avait au milieu de sa poitrine. Il ne lui serait jamais assez reconnaissant pour ça.

Puis, il se reconcentra sur ce que le palefrenier lui disait, faisant une légère moue.

« Mais qu’est-ce qui te dérange exactement ? Enfin, je veux pas faire mon curieux, mais je peux essayer de t’aider. J’aime pas que les gens soient embarrassées à cause de moi … Même indirectement. Et quand j’ai une idée en tête je l’ai pas ailleurs. Donc il vaut mieux que l’on essaie de voir ce que je peux faire pour améliorer ça. Parce que même si tu dis que ce n’est pas contre moi, c’est de ma faute. »

Camille était assez borné et c’est à cause de ça qu’il avait du mal à se faire des amis. Son entêtement et parfois sa mauvaise fois en dégoûtait pas mal. Le blond n’avait jamais trouvé aucun intérêt à s’améliorer sur ce point. Mais, petit à petit, il commençait à se dire que s’il ne faisait pas d’effort, il allait finir sa vie seule et détestée. Et il n’était pas sûr de désirer ça, même si c’était compliqué de changer, il allait devoir se débrouiller.

Camille alla se percher sur la barrière et sourit à Jérémie. Même si son sourire était franc et avenant, on pouvait voir, avec ses traits tirés, qu’il était clairement fatigué.

Camille sourit malicieusement.

« Il y a certaines informations que l’on ne peut pas oublier … Mais si tu ne veux pas en parler, je ne vais pas te forcer. Je n’aime pas ça moi non plus … Qu’on me force à parler … Ou à faire quoi que ce soit d’ailleurs. Même si j’ai clairement tendance à imposer ma volonté aux autres en général. »

Puis, Camille leva la tête, un regard étonné à la question de Jérémie. En général, c’était lui qui posait des questions, et très rarement le palefrenier. Pour ne pas dire quasiment jamais.

« Surement pas au sens où tu l’entends. »

Camille se redressa un peu, toujours perché sur sa barrière et remua légèrement mal à l’aise. Il avait l’air de peser le pour et le contre. Et finalement il se décida à ouvrir la bouche.

« Je suis plus à ça près de toute façon. »

Il soupira et planta ses ongles dans le bois de la barrière. C’était la première fois qu’il en parlait à quelqu’un de son plein grès. Et le jeune homme n‘avait jamais aimé se lancer dans l’inconnu. D’ailleurs, s’il serrait cette barrière ainsi, c’était pour dissimuler le tremblement de ses mains alors qu’il commençait une fois de plus à parler. Il fixait résolument l’herbe en face de lui. Évitant soigneusement le regard du palefrenier. Il savait très bien qu’il n’arriverait pas à rester calme s’il voyait la moindre trace de dégoût dans les yeux de son interlocuteur.

« Je suis boulimique et j’ai … j’ai fait une crise hier soir. Ça faisait très longtemps que je n’avais pas craqué … et ça me fou un coup, je pensais … Je pensais que c’était fini … Donc, ‘’l’accident’’ devant le pré, c’est à cause de ça. Je compense toute la merde que j’ai ingurgitée cette nuit. Pour pas finir comme un baleineau. Mais l’infirmier n’est pas du tout d’accord avec ça. Il a peut-être raison, mais là … j’ai pas envie d’être raisonnable. Et de toute façon, je ne peux même pas jeûner, vu que je suis accompagné pour mes prochains repas … »

L’adolescent avait essayé de garder un ton neutre. Comme si ce n’était rien pour lui. Mais, c’était à cause de ça que sa vie avait entièrement basculée … Et cela accentuait encore plus son sentiment de culpabilité.

« Je parle décidément beaucoup trop avec toi … Je vais vraiment finir par te dégoûter … Au fur et à mesure que je complète mon portrait. Tu peux pas savoir comme j’ai honte de te dire tout ça. »

Camille sourit gentiment à Jérémie. Il savait que tout ce qu'il venait de lui raconter était quelque peu compliqué. Mais c'était son quotidien à lui, encore plus aujourd'hui d'ailleurs. Même s'il était toujours un peu abattu, il hocha la tête quand le palefrenier lui demanda de relativiser.

« Oui, je sais, mais tu vois je faisais une à deux crises par semaine avant, parfois plus … Alors quand ici j'en ai pas fait pendant plusieurs semaines, j'ai cru que c'était fini … J'ai été bête, je sais que ça prendra du temps ... »

L'adolescent en avait pleinement conscience, mais parfois il ne pouvait s'empêcher de penser qu'il était redevenu normal ici. Que tout ce qu'il c'était passé avant n'avait été qu'un mauvais rêve et que sa nouvelle vie ici, allait remplacer son ancienne et qu'il pourrait faire comme si tout allait bien. Même malheureusement pour lui les réminiscences qu'il avait l'empêcher de réaliser son rêve pour l'instant.

Puis le silence s'installa entre eux deux, et comme Jérémie commençait à s'éloigner, Camille se dit qu'il allait sûrement le laisser là et retourner à ses occupations. Mais contre toute attente, ce dernier lui fit une révélation qui eut pour effet de faire se décrocher la mâchoire du blond. Le palefrenier était un ancien résident ? Ça c'était un scoop … Camille n'en aurait jamais douté.

« Non, sans blague ? C'est super ! »

Puis se rendant compte de ce qu'il venait de dire, il descendit de la barrière, nerveusement, et se confondit en excuse, avant de détailler ses pensées.

« Pardon, c'est pas ce que je voulais dire. C'est pas du tout super d'avoir été ici, parce que je sais bien que ça veut dire que tu avais des soucis quand tu étais jeune… Mais, ça marche vraiment alors ? Ça t'as vraiment aidé à sortir de tes problèmes de venir ici ? »

Le jeune homme regardait son interlocuteur avec un regard oscillant entre sa profonde admiration pour lui et l'espoir d'avoir sa réponse ultime.

« Tu … tu es heureux maintenant ? »

Camille ne lâchait pas Jérémie des yeux.