Différences ft. Jérémie Black

Différences

Certains disent que la passion est comme une flamme :
une fois éteinte, on ne peut la rallumer.

L'ECURIE, AVRIL 2019. QUELQUES JOURS AVANT LE RP COMMUN

Ce vieux singe d’Alessendro avait réussi à le convaincre, lui qui avait pourtant pris depuis longtemps maintenant la décision de ne plus remonter sur le dos d’un cheval. La raison ? Valerian lui-même l’ignorait, faisait semblant de. Le directeur aimait à prétendre que c’était une affaire de temps mais au fond de lui, Valerian savait bien que son emploi du temps de ministre n’avait rien à voir là-dedans. Persuadé était un terme qui convenait mieux, car en son for intérieur Valerian restait convaincu qu’il s’agissait là d’une mauvaise idée et sa réticence avait vite été prise pour de la peur aux yeux du maître d’écurie. Etait-ce le cas ? Non, pas vraiment, la peur n’avait rien à voir là-dedans. Valerian ne craignait pas pour sa vie ni la chute, non, il avait juste perdu quelque chose, cette étincelle de passion qui, bien que modérée, l’avait toujours suivi dans sa vie, jusqu’à très récemment. Valerian n’avait plus envie, tout simplement, malheureusement pour lui Alessendro s’était engouffré dans cette faille, titillant l’adversité du directeur qui avait finis par craquer, plus par orgueil que par réel désir.

Seize heure était passée lorsque Valerian arriva aux écuries, vêtu d’un semblant de tenue. Loin d’avoir investi, il avait trouvé çà et là un équipement primaire qui ne lui ceignait pas tellement, mais qui ferait bien l’affaire pour l’occasion. Il n’allait quand même pas faire l’aller-retour à Paris juste pour ça, non ? Non, bien sûr que non. En passant le seuil de la grande porte du barns, Valerian se surprit à trouver la longue allée vide … où était donc le cheval qu’Alessendro se targuait tant de le voir monter ? Pourquoi n’était-il pas prêt, à attendre sa venue ? Valerian dépassa les boxes vides pour finalement tomber sur celui de Guappelou, qu’il dérangea visiblement en plein mâchage de foin. Encore couvert de poussières et de terre, le cheval leva la tête à son apparition, l’avisa un instant avant de retourner à ses occupations. Grand et imposant, Valerian reconnaissait dans la noblesse de ses traits le sang des chevaux français. Massif, le directeur pressentait la force de ses muscles, et bien qu’occupé le cheval ne cessait de l’observer du coin de l’œil, perplexe quant à l’identité de cet étranger qui se tenait là devant la porte. Silencieux, Valerian l’observa un moment, avant de reconnaître derrière lui les pas distinctifs d’Alessendro.

— Alessendro, vous me défiez de monter votre cheval et vous ne me le faites même pas préparer ? fit remarquer le directeur en guise de salutation.

Le ton de sa voix était ambigu, à mi-chemin entre le reproche et la plaisanterie. Un sourire s’étira sur le visage du vieux palefrenier, dont les bras étaient chargés d’une selle au cuir vieillit par le temps et l’usage.

— Allons, Valerian, vous n’êtes plus à l’Etrier de Paris, monsieur le richaud. Vous êtes à Almara ici, il n’y pas de boniches pour vous mâcher le travail rétorqua Alessendro.

Sans attendre, le maître d’écurie déposa dans les bras du directeur la selle, que Valerian fut bien forcé de saisir. A son tour, un sourire s’esquissa sur le coin de ses lèvres.

— Richard … on dit richard, Alessendro le reprit Valerian, malgré tout amusé par l’idée et plus encore par la répartie du vieux palefrenier. A toute épreuve, cette dernière faisait honneur à sa légende. En guise de réaction, Alessendro souleva un sourcil.

— Vous m’en direz tant répliqua le vieil homme, loin de se débiner. D’un geste de main, il désigna le box de Guappelou, et par extension le cheval. Soyez poli avec lui, ou vous le regretterez assura le maître d’écurie.

Le vieil homme le gratifia d’une tape à l’épaule qui aurait fait vaciller n’importe qui d’autre et le quitta là-dessus, laissant Valerian à sa mission. Hayes déposa la selle sur la porte du box, attrapa un bouchon afin de s’affairer au brossage du selle français. Au contact des poils durs de la brosse, Valerian sentit la peau du cheval trembler, comme gêné par cette chose qui frottait malgré lui son corps. Tandis qu’il tentait du mieux possible de débarrasser Guappelou de sa poussière – était-il vraiment possible de brosser correctement un cheval chatouilleux ? – Valerian détailla l’équipement que lui avait laissé le vieux palefrenier, s’arrêta en découvrant qu’il manquait le filet. Trop heureux de se voir ainsi offrir une bonne raison de l’enquiquiner encore un peu, Hayes abandonna un instant Guappelou, s’avança jusqu’à l’entrée du box.

— Alessendro, j’ai bien peur de vous voir surestimer mes capacités l’interpella Valerian en jetant un regard dans l’allée. Le maître d’écurie brillait par son absence. Alessendro ? l’appela-t-il de nouveau.

Rien du tout. Mais où le vieux singe était-il donc passé ?

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Valerian

Rien de tel que les beaux jours du printemps pour que les chevaux puissent profiter d'un temps au pré, à galoper sur l'herbe verdoyante, sous le chaud soleil qui se tenait haut dans le ciel. Jérémie ôta la longe de l'étalon, qui se perdit pas de temps à s'élancer droit devant lui pour se dérouiller les jambes. Crinière au vent, l'équidé savourait l'instant sous le regard du jeune homme qui esquissa un sourire en enroulant la longe dans ses mains. C'était le dernier. Alors qui poussa la barrière et quitta la prairie, veillant bien à ce que la porte soit correctement fermée derrière lui. Il n'y avait probablement pas d'endroit plus paisible dans tout le domaine. Un ciel bleu, les fleurs qui s'ouvraient, les chevaux qui s'amusaient, paîtraient, se détendait, le tout le long de sentiers de terre cernés d'arbres. Il n'y avait rien aux alentours que la nature et elle seule, verdoyante et caressée par une douce brise printanière.

C'était bien pour ça qu'il avait préféré revenir travailler ici. Rester coincé dans cet endroit qui semblait figé hors du temps, plutôt que de retourner à la réalité qu'il avait connu dans son enfance. Ici, avec ce lieu dans lequel il s'était ancré durant son adolescence, avec la compagnie des chevaux. Pour rien au monde il n'en sortirait. La réouverture d'Almara avait été une véritable bénédiction à ses yeux. Même si la cohabitation avec certains résidents était loin de parfaire la situation, c'était un mal pour un bien. Il pouvait bien faire quelques efforts si ça lui permettait de rester ici. Il voulait prendre soin des chevaux autant qu'eux avaient pris soin de lui jadis. C'était un peu comme s'il avait pris les équidés comme réelle famille. Celle qui ne l'abandonnerait jamais, contrairement aux humains. Il n'avait qu'à les observer s'ébattre dans les prés pour s'en satisfaire. Les chevaux de cet endroit avaient soufferts aussi, et souffraient encore pour la plupart. Il veillerait sur eux quoi qu'il arrive.

Jérémie reprit le chemin des bâtiments du domaine, avançant sur le sentier qui longeait les prairies, non sans un dernier regard vers les chevaux qui s'y trouvaient. Il revint en direction de la grande écurie qui trônait non loin de là, voyant au loin la silhouette familière d'Alessendro qui quittait les lieux. Puisque les boxes étaient vides, c'était l'occasion rêvée pour les entretenir. Non loin de l'ouverture, il s'approcha de la brouette qui se dorait au soleil et n'attendait plus qu'on se serve d'elle. Le jeune homme était à deux doigts de l'empoigner quand il entendit une voix à l'intérieur de l'écurie. En temps normal, il n'aurait pas réagit plus que ça. Mais il ne s'agissait nullement de la voix d'un résident et ce fut ce qui le stoppa dans son geste. Cette voix était celle du directeur. Bien qu'il ait eut peu d'occasion de le voir, il ne pouvait se méprendre sur cette vérité. La voix reprit de plus belle, appelant Alessendro, celui avec qui Jérémie avait déjà bien plus d'interaction parmi les adultes de ce domaine.

Mais que faisait le psychiatre dans cette écurie ? Intrigué, Jérémie abandonna la brouette pour le moment avant de passer la large porte de la bâtisse, passant subitement dans l'ombre fraîche des lieux. Il fit quelques pas, cherchant du regard l'adulte qui se trouvait ici. Il ne mit pas longtemps à le repérer, apercevant la silhouette de ce dernier qui dépassait depuis la porte du box de Guappelou. Valerian Hayes ? Dans un box ? Voilà une scène qui n'était pas prête de quitter l'esprit du jeune palefrenier tant s'était inattendu. Il y avait sans doute une raison précise, importante, qui demanderait la présence du directeur auprès de cet animal. Sur le coup, une inquiétude submergea le jeune homme. L'animal était-il souffrant ? Son pas s'accéléra à cette idée. Peut-être la raison pour laquelle le chef d'écurie visiblement absent était ainsi appelé ?

- Monsieur Hayes ? fit Jérémie à quelques mètres du concerné.

C'est alors qu'il repéra l'équipement de monte. Une selle, du matériel de pansage, wait a minute...

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Il y avait, dans le cœur de Valerian, une naïveté un peu candide qui n’avait pas manqué de lui faire croire qu’Alessendro et lui-même étaient seuls dans cette écurie ; une naïveté qui ne l’avait pas tant trahi que ça étant donné que cela avait été le cas, pour un temps seulement. Le regard du directeur se tourna avec vivacité en direction de cette voix qui s’éleva et à laquelle – il devait bien l’avouer – il ne s’attendait pas. Lorsque ses yeux se posèrent sur son propriétaire, Valerian découvrit qu’il s’agissait du jeune palefrenier embauché lors de la réouverture … quel était son nom déjà ? Jeremiah ? Jérémie ? Valerian passait vraiment trop peu de temps ici et sa méconnaissance de cette partie des employés n’avait rien à voir avec du dédain ou même du mépris : Valerian avait simplement trop de choses auxquelles penser. Dès le départ, il avait délégué cette partie-là du domaine à Alessendro et aveugle dans sa confiance, le directeur avait accepté dans son équipe toutes celles et ceux que le vieux palefrenier avait réclamé. Valerian n’en ignorait pas, cependant, les profils de ceux qu’il acceptait à Almara et l’histoire de ce Jérémie, Valerian la connaissait. Gitan recueillit par son père quelque temps au cours les dernières années du domaine, le garçon n’avait jamais plus fait de vagues. Comme tous les anciens résidents cependant, son dossier demeurait dans les archives jadis tenues par William et en cherchant bien, Valerian était presque certain de pouvoir le retrouver. Le voulait-il ? Absolument pas. Le passé appartenait au passé et la loi protégeait ces dossiers. Même mort, les secrets qu’ils contenaient appartenaient toujours à William Hayes et le directeur se gardait bien d’y fourrer son nez … il avait déjà suffisamment à faire avec ses propres problèmes, déterrer ceux des autres était loin d’être dans son intérêt.

Valerian ne put empêcher la surprise d’apparaître sur son visage en découvrant le palefrenier aux cheveux sombres. Bien vite pourtant le directeur se reprit, s’éclaircissant la voix, presque gêné … bon, il s’était cru seul, ce n’était pas la fin du monde non ? Le bouchon toujours à la main, Hayes avisa le reste de l’écurie. Valerian était-il au bout de ses surprises, ou l’écurie cachait-elle encore des individus au détour d’un box ? Il lui semblait que non, mais la surprise lui avait servis de leçon … finit les remarques susceptibles d’être mal interprétées.

— Excusez-moi, je pensais qu’Alessendro était encore dans les parages affirma Valerian. Ce vieux bougre me persuade de faire une bêtise, et il n’est même pas là pour s’en délecter le jour où je m’y risque fit-il remarquer, un sourire sur le coin des lèvres.

Du regard, le directeur le chercha de nouveau … oui, c’était son idée après tout et pourtant le maître d’écurie avait disparu, pour l’instant du moins. Pour lui venir en aide, le directeur n’avait plus que ce garçon tout droit sortis d’un groupe de métal, garçon qui le concurrençait d’ailleurs en taille – un vrai miracle – Tant pis, il n’était jamais trop tard pour faire connaissance, non ?

— Hum … Jérémie, c’est cela ? Pourriez-vous aller me chercher le filet de – il jeta un œil à la plaque accrochée sur la plaque du box – Guappelou ? Ou bien m’indiquer où il se trouve et le surveiller le temps que j’y aille ? lui demanda le directeur. Je ne voudrai pas que notre ami ici présent abîme la selle flambant neuve de notre cher Alessendro assura-t-il.

Valerian avisa la selle du maître d’écurie. Vraiment, le directeur se demandait bien comment la selle tenait encore debout : marqués par les frottements, le cuir des quartiers était devenu si fin que Valerian était presque sûr de pouvoir y voir au travers. Rognés çà et là par d’autre chevaux avant lui, le pommeau et le troussequin portaient des marques de dents. La selle avait vécu, oui, c’était peu de le dire. Valerian ne remettait pas en question sa qualité, mais toutes les choses avaient un jour une fin.

— Je suis presque certain qu’elle est plus vieille que moi déclara-t-il, amusé par l’idée.

Dans les propos du directeur ne planait nulle critique et son ton se voulait presque enfantin. Force était de constater que malgré la forme, Valerian avait raison dans le fond : il était vraiment temps pour cette selle de trouver une remplaçante. Hayes, cependant, pouvait comprendre l’attachement d’Alessendro pour la chose : il n’était pas sans savoir qu’une selle se faisait et qu’une fois faite, aucune autre ne pouvait rivaliser avec son confort. Au-delà de l’objet en lui-même, Valerian savait le vieil homme attaché au passé et, de ce fait, plutôt réticent à la nouveauté et donc au changement. Alessendro faisait partie de ceux qui regrettaient les modifications qu’avait apporté Valerian au domaine et le veille homme ne le lui avait jamais caché. Hélas, le changement était inévitable et Hayes faisait partie de ceux qui le savaient ; de ceux qui, lorsque soufflait le vent du changement, construisaient les moulins plutôt que des murs. Loin de vouloir paraître ingrat, il y avait dans la façon d’être du directeur une authenticité à laquelle il n’avait pas habitué les gens d’ici. Sans son costard pour lui donner de l’importance, Valerian redevenait ici un homme comme les autres ou presque. Les chevaux avaient ce talent-là, celui de ne faire aucune différence et de faire s’envoler les étiquettes, même les plus tenaces.

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Valerian

Valerian Hayes. Que savait-il de cet homme ? Pas grand chose en vérité. Son nom, son rôle au sein de cet endroit et le fait qu'il était le rejeton de feu William Hayes. Et c'était surtout William que Jérémie avait le plus connu à bien y réfléchir. Puisqu'il avait été l'homme qui avait dirigé cet endroit du temps où il s'y trouvait en tant que turbulent résident. Et Valerian n'était même pas présent au sein du domaine à cette époque. Il restait presque un étranger aux yeux de Jérémie en fin de compte. Tout ce qui touchait à l'écurie de près ou de loin se rapportait majoritairement à Alessendro. Il faut dire que Jérémie ne s'était pas non plus posé beaucoup de question, ne trouvant pas d'intérêt à côtoyer ces gens-là. Il ne s'occupait que de ses affaires et laissait volontiers le reste du monde tourner sans lui. Une chose était certaine, la surprise de cette curieuse rencontre à l'écurie était valable pour les deux protagonistes ici présent. Quoi que Jérémie avait probablement une surprise plus légitime que le directeur. C'était là qu'il bossait après tout. Mais le psychiatre, en revanche, c'était bien plus surprenant de le voir par ici. Dans un box, et surtout apparemment avec l'envie de se mettre en selle. Guappelou, hm ? Une belle bête à ne pas en douter. Jérémie savait que Alessendro tenait énormément à ce cheval. Le jeune homme se souvint l'avoir déjà vu auparavant durant son adolescence avant la fermeture du domaine. L'hongre en devenait un peu iconique de ce fait.

- Il vient de sortir, se contenta de répondre Jérémie à la première remarque du directeur.

Une bêtise ? Jérémie n'avait donc pas tort de s'étonner de voir l'homme sur le point de monter à cheval ? Il ignorait tout des aptitudes de ce dernier à mettre le pied à l'étrier, et savait seulement qu'il ne l'avait jamais vu le faire. Mais Alessendro devait bien savoir ce qu'il faisait, non ? Jérémie ne faisait confiance qu'aux chevaux et Guappelou était un animal bien dans sa tête et donc plutôt apte à s'y mettre également. Le jeune homme jeta un oeil à l'équidé qui passa outre le fait que son pansage traînait en longueur avant de se rendre compte que le psychiatre fouillait désespérément l'écurie du regard.

- Euh...Je peux aller le chercher s'il faut, suggéra t-il hasardeusement.

Enfin, le vieil homme avait l'air d'avoir fait exprès de mettre le directeur dans cette situation. Il ne voudrait sans doute pas qu'on vienne le chercher pour l'en sortir. Jérémie avait tendance à ignorer tout ce qui pouvait bien se passer dans la tête des gens et ce n'était pas avec son chef d'écurie qu'il allait commencer. Le lien entre les deux hommes le dépassait de toute évidence. Le jeune homme hocha brièvement la tête quand le directeur chercha son prénom. Il s'étonna presque que ce dernier le sache d'ailleurs. Bon sang, l'homme ne savait même pas à quel cheval il avait affaire ? Jérémie avait l'impression d'avoir un résident en détresse. Fallait maintenant qu'il s'occupe du directeur lui-même ? Le jeune homme aurait probablement lâché un soupire blasé s'il n'était pas conscient d'avoir son distributeur de salaire en face de lui. Alors il garda contenance. Pas moyen d'avoir la paix dans cette écurie, même quand il n'y avait pas de résident. S'il avait su, il serait resté aux prés à contempler les chevaux. Enfin, il avait un psychiatre en face de lui après tout. Le genre d'homme plus à l'aise sur un fauteuil en cuir qu'une selle de cheval.

- Hmbon, bah je vais vous le chercher, répondit-il alors, résigné.

Ce serait plus simple ainsi. Qui sait si l'homme était capable de se perdre en cherchant la sellerie ! Ou alors risquerait d'y mettre un bazar qu'Alessendro ne tolérerait pas. Il passerait des heures peut-être même à chercher pour trouver le bon filet. Oh Jérémie n'avait rien contre l'homme évidemment, il ne le connaissait même presque pas. Mais il devait bien reconnaître qu'il ne s'était absolument pas attendu à ce que sa journée se déroule de cette manière, à tenir la bride au grand patron des lieux -sans mauvais jeu de mot-. Jérémie arqua un sourcils à la remarque de l'homme sur la selle. Hm...Peut-être bien ! C'était déjà bien que ça ressemble toujours à une selle. Bientôt on pourra simplement y déposer un carré de cuir sur le dos de l'animal que ça reviendrait au même. Jérémie n'émit pas un mot à cette remarque bien qu'il la trouvait véridique. Alessendro était très à cheval sur la qualité du matériel d'écurie -sans mauvais jeu de mot encore !- et s'il gardait cette vieille selle, il avait ses raisons. Il ne mettrait pas en danger la santé d'un cheval avec une selle trop abîmée et changera celle-ci pour sûr lorsqu'il en jugera la nécessité présente.

Jérémie s'empressa alors de se rendre dans la sellerie, abandonnant l'homme dans son box. Sur le chemin, il devait bien admettre qu'il ne voyait pas le directeur de cette manière. Il l'avait toujours aperçu de loin, et ne s'était fait que des hypothèses sur sa personnalité qu'il songeait plus ou moins dure et snob. La vérité se révéla être bien différente de ses pensées. Il avait vu en lui une étrange légèreté à laquelle il ne s'était pas attendue. C'était le genre de surprise qu'on avait à juger les gens sans les connaître. Et Jérémie était doué pour ça. Sitôt dans la sellerie, il s'empara du dit filet de Guappelou, soigneusement rangé à sa place, avant de faire machine arrière. Bien des questions lui brûlaient la langue sur ce qui se passait aujourd'hui, mais qu'il n'osait pas vraiment poser. Il revint rapidement au box de Guappelou avant de déposer le filet sur le rebord de la porte, considérant un moment le directeur toujours présent.

- Est-ce que c'est la première fois que vous montez Guappelou ? se risqua t-il alors en se retenant de demander si c'était la première fois qu'il montait tout court.

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Le jeune homme semblait partager la surprise du directeur et lui non plus n’avait pu le cacher. Lorsque Valerian lui partagea son problème, par pitié – ou bien par dépit, le psychiatre n’en était pas certain – le garçon partit lui chercher ce qui lui manquait tant, disparaissant un moment. Sans doute était-ce la meilleure option, car Valerian n’aurait pas manqué de perdre son temps dans la sellerie … combien y avait-il de chevaux au domaine déjà ? Beaucoup, et chercher les affaires de Guappelou parmi celles de tous les autres aurait été fastidieux, pour rester poli. Bien plus vite qu’il ne l’aurait fait, Jérémie revint bientôt avec le filet dans les mains, qu’il déposa sur la porte du box.

— Merci le remercia Valerian, tout en avisant un instant le bridon.

D’un brun sombre, le filet était composé d’une muserolle italienne et d’un mors simple à double brisure. L’association était étrange – un bridon si dur pour un mors si doux ? – et l’embouchure plus que l’enrênement le faisait tiquer : un grand cheval comme ça, en double brisure ? Et la martingale, ou était la martingale ? Un selle français, sans martingale ? N’y avait-il donc rien pour contenir le cheval ? Alessendro voulait-il sa mort ? Valerian s’arracha à sa contemplation pour répondre au jeune homme. Avait-il déjà monté le cheval ?

— Guappelou ? Oui, c’est la première fois répondit le directeur. Il jeta un regard en direction de l’équidé. Alessendro n’a pas arrêté de m’en vanter les mérites et assure que je ressortirai grandis de quelques séances avec lui raconta le psychiatre. Il est vrai que je ne manquerai pas de taille là-dessus, mais ce n’était sans doute pas ce qu’il voulait dire ajouta le directeur.

Il s’amusa un instant … c’était peu de le dire. Guappelou était grand et une fois sur son dos, Angus lui-même ne les dépasserait pas. Valerian jouait sur les mots, mais une part de lui s’inquiétait un peu du genre de bienfaits que pouvait lui apporter le cheval. Alessendro espérait-il le voir devenir meilleur cavalier ? L’avait-il seulement déjà vu monté ? Si tel était le cas, Valerian n’en avait aucun souvenir et puisqu’il avait une bonne mémoire, il en avait conclu que cela n’était jamais arrivé. Non, sans doute Alessendro espérait-il le voir devenir un meilleur homme, et c’était bien cela qui l’effrayait le plus. Refoulant cette appréhension au fond de son esprit, Valerian poursuivit.

— M’est d’avis qu’une part de sa fierté réside dans ce cheval, j’ai plutôt intérêt à ne pas le lui abimer déclara-t-il avec davantage de sérieux.

Là encore, c’était peu de le dire. La menace du vieux palefrenier n’était pas anodine et d’avance, Valerian savait que si problème il devait y avoir, la faute lui incomberait à lui et non pas au cheval. Le manque d’objectivité du maître d’écurie obscurcirait forcément son jugement et déjà, le psychiatre s’en dédouanait. Orgueil quand tu nous tiens.

— Il ressemble à mon ancien cheval, je dois le reconnaître fit remarquer le directeur, qui s’était mis à le détailler. Les robes différaient bien sûr, mais le moule était le même ou presque. C’est la race qui veut cela, sans doute supposa-t-il. Presque soudainement, il se tourna vers le jeune palefrenier. Et vous ? L’avez-vous déjà monté ? J’avoue ne pas savoir à quoi m’attendre. Alessendro a été avare en mise en garde et conseils, et je ne sais pas trop si cette histoire est une véritable tentative pour me remettre en selle ou bien un guet-apens confia-t-il.

L’avenir ne manquerait pas de leur donner la réponse. Presque prudemment, Hayes posa une main sur l’épaule du cheval. Sous ses doigts, le directeur sentit la peau tressaillir un instant à son contact et intrigué, Guappelou tourna la tête pour apposer sur lui son regard. De lui-même, le grand bai rompit finalement le contact pour retourner manger son foin, ignorant singulièrement la présence de celui qui, pourtant, lui payait aujourd’hui sa ration. Valerian n’avait jamais vraiment attiré les bêtes et aujourd’hui ne semblait pas faire exception à la règle.

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Valerian

Allons bon, il pouvait bien rendre un service à cet homme après tout. C'était tout de même aussi un peu grâce à lui qu'il pouvait travailler ici, résider au domaine, poursuivre son existence dans cette bulle campagnarde loin de l'adversité du monde. Certes, Alessendro avait été là pour le prendre parmi ses employés également, mais il serait ingrat de penser que Valerian n'avait pas une importance dans l'affaire. Il restait le directeur des lieux après tout. Jérémie n'avait ainsi pas perdu de temps à lui ramener ce qu'il voulait. Le regard que jeta l'homme au dit objet laissait penser qu'il s'intriguait de ce qu'il voulait. Pourtant, Jérémie ne s'était pas trompé. C'était bien là le filet de Guappelou. Le jeune palefrenier serait presque en mesure de reconnaître les filets de chaque cheval les yeux fermés ! Le psychiatre affirma alors que ce serait sa première montée sur cet équidé, ajoutant qui plus est que c'était là un conseil du maître d'écurie. Eh bien...C'était qu'il devait avoir raison. Jérémie connaissait le cheval, mais Alessendro connaissait le cavalier surtout. Jérémie hocha simplement la tête pour faire part de son écoute sur les mots de l'homme. Il gardait ses opinions pour lui-même, du moins quand il pouvait en avoir. Il ne connaissait pas Valerian pour pouvoir se faire une idée précise de ce que Alessendro avait eut en tête en confiant Guappelou au directeur. Mais ce vieil homme ne faisait jamais rien sans raison.

- Si quelque chose de mal se passe, ce n'est pas le cheval qui risque d'être abîmé à mon avis...ne put s'empêcher de commenter Jérémie avec une pointe de cynisme en haussant les sourcils.

Non pas que Guappelou était un animal dangereux, loin de là. Mais il avait du caractère et il y avait bien plus de chance qu'il se fasse obéir du cavalier plutôt que l'inverse. Le cheval savait donné des leçons à ceux qui ne savaient pas l'écouter. S'il avait prit de la fierté d'Alessendro, il était d'avis de Jérémie que ce n'était pas là le seul trait de caractère que ces deux là partageaient ! Et puisque c'était la première fois que le directeur allait le monter, il allait s'en rendre assez vite compte. Le regard du jeune tzigane revint sur le psychiatre quand ce dernier évoqua son ancienne monture. Il se mit à cogiter un moment en se demandant si le cheval évoqué lui était familier ou non. Mais n'eut pas le temps d'y réfléchir d'avantage car l'homme ne tarda pas à l'interpeller de nouveau. Une interpellation qui prit quelque peu le jeune homme au dépourvu.

- Euh...Non, jamais. Je ne m'en occupe qu'à la longe à vrai dire.

Quand il y avait besoin que l'équidé se dépense et qu'il n'y avait aucun candidat pour sa selle notamment. Mais le palefrenier n'estimait pas avoir un niveau adéquate pour prétendre chevaucher le trésor d'Alessendro. Un jour peut-être...Il aimerait bien mine de rien. Son regard s'attarda sur l'animal un moment alors qu'il s'imaginait dessus. Un grand cheval pour un grand cavalier, ça irait bien ensemble...

- Peut-être les deux, suggéra t-il à l'interrogation de l'homme sur les desseins de son maître d'écurie, Guappelou est du genre raffiné et il n'aime pas vraiment qu'on lui mette la pression. Il sait bien faire comprendre quand quelque chose ne lui plaît pas et il n'y va pas de main morte malgré son âge.

Hm, toujours pareil. Dès qu'il s'agissait de parler des chevaux, le jeune homme en avait toujours un peu plus à dire que dans des conversations où les équidés n'avaient pas leur place.

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Certains disent que la passion est comme une flamme :
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Ce Jérémie n’était pas tellement homme à donner confiance et Valerian se heurta à son franc parler – pouvait-on vraiment appeler cela comme ça ? – Quand même, quand bien même avait-il raison, le garçon aurait pu faire un effort pour dire quelque chose de rassurant ou s’en rapprochant, ne serait-ce que pour la forme. Il fallait bien mentir de temps en temps, non ? Visiblement non. Son bouchon toujours à la main – finirait-il par le terminer, ce pansage ? – le directeur avisa le cheval … non, vraiment, dans quoi s’était-il encore fourré ?

— Vous êtes rassurant, vraiment, un régal assura Valerian en réponse à toutes les paroles du jeune homme. Et sinon, vous avez une bonne nouvelle pour moi ? Non parce que, je trouvais que ce n’était déjà pas une bonne idée, mais alors là …

Encore une fois, son ton se voulait léger, mais malgré ses mots Valerian ne se débina pas pour autant. Faire machine arrière ? Que nenni, ç’aurait été là donner trop de satisfaction à Alessendro, qui de toute manière ne l’aurait pas lâché. Sans vraiment attendre de réponse de la part du jeune homme, Valerian se remit à l’œuvre, frottant la robe encore poussiéreuse du cheval. Si le psychiatre avait effectivement pris l’habitude de voir son cheval préparer par d’autres – à 900 boules la pension, c’était la moindre des choses – dans ce qui s’apparentait à sa vie antérieure, l’homme n’avait pourtant pas perdu la main. Bientôt, les rayons du soleil traversant le box mirent en lumière la poussière dégagée par le pansage. Sans doute aurait-il mieux valu sortir le cheval, mais il était un peu tard pour y penser maintenant.

— Vous avez un cheval sous votre aile ici ? demanda-t-il finalement au palefrenier. Je veux dire, un cheval en particulier, ou bien une préférence pour l’un d’eux ? précisa-t-il.

D’une certaine manière, Valerian savait bien que tous les chevaux du domaine étaient sous son aile … n’était-il pas palefrenier après tout ? Tous ceux qui côtoyaient le monde du cheval savaient que le curage des boxes et le balayage des allées n’étaient pas les seules tâches des palefreniers, encore moins à Almara. Il n’était pas rare non plus de les voir s’enticher d’un cheval en particulier et Valerian était bien curieux de savoir lequel d’entre eux avait su trouver une place dans son cœur. L’intérêt du directeur sur la question était désintéressé, sans arrière-pensée, et bien que cela pouvait paraître étrange il se complaisait à connaître certains détails. S’imaginait-il pouvoir cerner le garçon en sachant quel cheval il aimait ? Non, Valerian n’était pas un gourou ni un chaman … il était juste curieux, lorsque d’aventure il en avait l’occasion.

— Si j’ai bonne mémoire, vous avez vous aussi été résident ici poursuivit-t-il. Quel genre de cheval vous avait-on donné ? le questionna Valerian.

Là encore, la curiosité l’animait, une curiosité professionnelle cette fois. Oui, Valerian se demandait bien quel genre de cheval William Hayes avait pu donner à ce garçon, qui sans doute avait bien changé depuis … ou peut-être pas tant que cela – après tout, pouvait-on vraiment changer sa nature ? – Qu’aurait-il fait à sa place ? Valerian se surprit à se poser la question, et plus encore à se rendre compte qu’il ne connaissait pas assez le jeune homme pour cela, paradoxe étrange pour lui qui choisissait les chevaux des résidents bien avant leur arrivée. Angus peut-être ? Peut-être, oui. Peut-être. Animé d’une stoïque indifférence, Guappelou continuait de grignoter son foin, loin de s’émouvoir de ce qui l’attendait. Le cheval ne connaissait pas cette grande bringue qui comptait lui monter dessus et Valerian devait lui reconnaître un certain calme face à la nouveauté. Hayes priait pour que cela demeure, car il avait passé l’âge des chevaux qui montaient dans les tours pour un oui ou pour un non … il avait déjà largement eu sa part avec Tsar, dont il gardait encore des souvenirs tenaces.

Différences

Valerian

Loin d'être présent au bavardage, pas plus qu'à l'acceptation d'une présence humaine près de lui, Jérémie allait autant à l'essentiel qu'il ne mâchait pas ses mots quand il se permettait une remarque. Ca n'avait clairement rien de méchant à l'encontre du directeur. Si le jeune homme avait voulu être mauvais, l'homme l'aurait clairement senti passer. Mais le palefrenier était du genre à dire ce qu'il pensait, quitte à dire quelque chose après tout. Camille Pelletier pouvait sans aucun doute confirmer le fait que le jeune homme manquait cruellement de tact quand il s'y mettait. Ce pauvre résident pourtant responsable d'une jument plutôt gentille, en était venu à la craindre plus d'une fois par la faute du jeune palefrenier. Le directeur n'avait pas droit à un traitement de faveur de ce côté là. Il en avait déjà reçu un lorsque le garçon avait accepté de lui chercher le filet manquant. Jérémie n'avait jamais vu le mal à dire la vérité. Face à un cheval comme Guappelou, l'homme ne ferait pas le poids s'il décidait de trop s'imposer. Autant qu'il soit au courant ! Aussi, à la remarque peu ravie du psychiatre, le jeune homme se contenta de relever le menton, déviant son regard vers l'animal. Son but n'était pas d'être rassurant. Ce gars était psy non ? Il devrait tout de même être capable de gérer sa nervosité. Parce que s'il se tendait devant un cheval, il était pas sorti du foin. Le regard du jeune homme revint sur lui qui espérait entendre quelque chose d'un peu plus positif et Jérémie ne put s'empêcher un léger sourire en coin. Il fit mine de réfléchir.

- C'est un cheval bien dans sa tête, répondit-il presque hasardeusement, si vous savez y faire avec lui, vous ne serez pas déçu.

Ce n'était pas anodin. La majorité des chevaux de cet endroit avait tous un problème qui rendait leur monte assez délicate, jusqu'à temps qu'ils soient guérit. Mais parmi ceux qui se portaient bien, Guappelou était une monture fiable, tant qu'elle serait entre de bonnes mains. L'homme entreprit de se remettre à panser l'animal avec un coup de main qui prouvait au moins qu'il savait y faire. Durant son pansage, le directeur interpella à nouveau Jérémie, mais ce dernier nia d'un signe de tête.

- Non, admit-il.

Il se retint d'ajouter qu'il les aimait tous sans distinction, peu apte à faire du sentiment en présence de quelqu'un. Cependant, il avoua :

- Mais je me sens plus proche de ceux qui ont...besoin d'aide.

En d'autres termes, ceux qui étaient généralement confiant aux résidents. Jérémie aimait tous les équidés du domaine, mais ceux à problèmes le touchaient d'avantage pour des raisons évidentes. Il était plus prompt à prendre soins de ceux qui en avaient besoin plutôt que de chouchouter ceux qui vivaient déjà leur belle vie. Mais lorsque le directeur mentionna sa vie de résident jadis, le palefrenier se braqua quelque peu. Ca remontait à loin, mais il s'en souvenait comme si c'était hier, alors que ça avait l'air d'appartenir à une autre vie. Pourquoi diable ce directeur avait-il besoin de se montrer aussi curieux ? La patience du palefrenier commençait déjà à en être sévèrement affectée alors que la conversation ne faisait que commencer. C'était pourtant seulement une discussion, tout ce qu'il y avait de plus innocent, entre deux hommes. Mais c'était pourtant bien le genre de situation que Jérémie avait tendance à esquiver.

- Le genre nerveux, répondit-il malgré tout, Vanilla lui ressemble plutôt bien...

Oui, il se souvenait très bien de ce jeune étalon plein de fougue qui ne se laissait pas faire au premier abord. Jérémie ne saurait dire s'il avait été pire que la jument sauvage ou non. Mais il se souvint que ses débuts avec lui n'avaient pas été une partie de plaisir. Avec le temps, l'adolescent qu'il avait été avait fini par se voir dans ce cheval. Jeunot impétueux que rien ne semblait capable de faire plier. Rien, hormis du temps, de la compréhension, une relation complice à laquelle l'animal avait pu se raccrocher pour trouver un sens à sa vie, autant que le jeune gitan l'avait fait en apprenant à connaître cette créature. Jamais il n'oubliera la première fois qu'il avait sentit le souffle chaud de ses naseaux sur son visage, précédent cette étrange douceur du museau sur sa joue. Il y avait eut à ce moment là comme une sorte de flash révélateur. Cette bête lui avait offert quelque chose qu'on ne lui avait jamais donné auparavant : la confiance.

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Certains disent que la passion est comme une flamme :
une fois éteinte, on ne peut la rallumer.

Si vous savez y faire. Valerian n’aimait pas tellement les phrases qui commençaient par si et encore moins ce qu’elles impliquaient. Valerian Hayes n’était pas tellement homme à compromis … lui, mettre de l’eau dans son vin ? Pas vraiment. Les gens l’aimaient et le supportaient dans son intégralité, ou bien pas du tout. Comptait-il être différent pour ce cheval ? Pas vraiment, et dans son arrogance Valerian s’imaginait que ce serait bien le cheval – et non pas lui – qui se plierait. La belle affaire ! Valerian Hayes risquait de ne pas être déçu.

Quand la discussion bifurqua sur le garçon, Valerian perçut sa réticence et sa réserve quant à l’idée de voir sa vie devenir le centre d’intérêt. Le jeune palefrenier n’était pas du genre à s’étendre sur la question et loin d’être loquace, il n’offrit au directeur que quelques bribes qui manquèrent à le contenter. Ce genre de réponses, le psychiatre qu’il était n’y était que trop habitué, aussi ne prit-il pas cela personnellement. Sans doute y avait-il dans le passé de Jérémie Black des choses encore non digérées, peut-être non pardonnées et avec lesquelles il n’était pas tout à fait en paix … pourquoi cette réticence sinon ? Sa personnalité y jouait aussi, peut-être – sans doute – un rôle mais par expérience, Valerian savait qu’on cachait rarement ce dont on était fier. Quant était-il de Jérémie ? Déterrer des vieux souvenirs n’était pas son rôle, aussi le directeur fit-il semblant de se contenter de sa réponse. Tant que cela ne nuisait pas à son travail, Jérémie Black pouvait bien garder ses problématiques pour lui-même … après tout, Valerian était bien mal placé pour émettre la moindre critique à ce sujet.

Jérémie se sentait proche des chevaux recueillis par le domaine et cela ne l’étonna pas. Ce sentiment, commun à bien des individus, était la raison même de l’existence d’Almara, le point d’ancrage de son fonctionnement. William Hayes avait su le percevoir à l’époque, et si la science n’avait jamais su l’expliquer par des valeurs concrètes et palpables, les résultats n’en demeuraient pas moins présents, indéniables. Aujourd’hui encore les réfractaires étaient nombreux, et beaucoup parmi eux considéraient Almara et son programme comme du charlatanisme ou presque. Si Valerian était moins fermé que son père à ce sujet – le psychiatre n’était pas aveugle aux défauts du programme – il n’en restait pas moins confiant et certains de l’approche. Bien des courants en psychologie étaient passés par là avant d’être finalement reconnus, il suffisait simplement d’être patient.

— Les gens se sentent proches de ceux qui ont besoin d’aide parce qu’ils leur renvoient leurs propres problématiques. Les aider, c’est nous aider nous aussi expliqua Valerian. Qui peut mieux nous comprendre que quelqu’un qui vit les mêmes choses que nous ? Le cheval a ce talent de ne pas juger, de ne pas mentir, de ne pas faire semblant ; auprès de lui, les gens apprennent à faire confiance. Je crois que c’est pour ça que le programme fonctionne, ou du moins fonctionnait pour mon père raconta le directeur.

Valerian n’avait pas encore suffisamment de recul pour savoir si son approche fonctionnait aussi bien que celle de son père. Presque huit mois les séparait seulement de la réouverture et si certains résultats se faisaient déjà sentir, ils étaient encore loin de ce que l’opinion publique attendait d’eux … Valerian y portait-il de l’importance ? Son orgueil non, sa raison oui … car le directeur avait cette vocation : celle de penser et d’organiser le domaine pour le long terme. Son propre refus de reprendre les rênes de l’institut lui avait servis de leçon : Valerian voulait que le domaine continue d’exister, même sans lui et son argent. William Hayes n’avait pas su le faire et cette erreur, Valerian ne comptait pas la répéter. Almara se devait d’être viable économiquement parlant – pas pour les propres bénéfices de son directeur, mais bien pour continuer d’exister – et pour cela, l’opinion publique avait son importance … car c’était elle, finalement, qui décidait de sa réussite ou non. Valerian et son équipe pouvaient bien avoir tous les résultats du monde, cela ne servirait à rien si personne n’était là pour les payer.

Sans doute Valerian venait-il un peu trop de s’étendre … pourquoi se sentait-il toujours obligé d’expliquer les choses, de les justifier, de les commenter ? Quel signe l’avait donc autorisé à croire que Jérémie pouvait s’y intéresser ? Aucun, pourtant Valerian n’avait pas pu s’en empêcher. Valerian était comme ça : loin d’être avare, il prenait à cœur d’expliquer les choses pour que les autres puissent les comprendre, là où d’autres rapiats n’auraient pas manquer de garder ce savoir pour eux. Par la suite, le choix du cheval qui avait jadis été attribué au palefrenier ne manqua pas de le surprendre … Jérémie avait dû être un sacré résident pour se voir affubler d’un cheval pareil. De toute évidence, les gens changeaient, parfois pour le pire mais – heureusement – souvent pour le meilleur. Valerian avait-il connu ce cheval ? Sans doute ne le saurait-il jamais.

— Vous ne deviez pas vous ennuyer alors fit remarquer le directeur. Non, on ne s’ennuyait pas avec des chevaux comme Vanilla. Ce genre de chevaux vous permettre de vous évader … littéralement. C’était peu de le dire : Vanilla était toujours hors de son enclos ou presque. Celui de Jérémie avait-il été comme ça ? Vanilla est une belle jument, pleine de charmes … heureusement qu’elle n’est pas grande, autrement elle serait ingérable affirma Valerian.

Oui, ils avaient déjà suffisamment à faire avec ce cinglé de Golden Dream. Pourquoi l’avait-il accepté déjà celui-là ? Valerian se posait encore la question. Le nom de Vanilla fit remuer dans sa mémoire le souvenir de Taylor, qui en avait désormais la garde. La garde était un bien grand mot, mais jusqu’à présent le directeur n’avait eu aucun retour la concernant.

— Parlant de Vanilla, avez-vous eu l’occasion de rencontrer Tessa Taylor, la résidente à qui elle a été attribuée ? demanda Valerian.

La concernant, le directeur émettait quelques réserves ô combien fondé. Si le psychiatre restait persuadé que le duo s’apporterait des choses mutuellement, il promettait également d’être explosif, et compliqué à mettre en place. Semblables, Vanilla et Tessa mettaient tout en œuvre pour accepter l’aide de personne … en cela, elles s’étaient bien trouvées.

Différences

Valerian

Le directeur ne semblait pas très satisfait de la réponse du palefrenier. Jérémie n'avait rien trouver de plus positif à lui dire sur l'animal. Au pire, l'homme se rendra bien compte de la chose une fois dessus. Il y verra soit les bons côtés, soit les mauvais, en fonction de comment il s'y prendrait avec. Bien que Jérémie ne l'ait jamais vu à cheval, il se doutait bien que l'homme savait monté un minimum quand même. Enfin, il l'espérait. On ne le lançait pas à corps perdu dans une séance équestre avec juste un peu de motivation. Surtout que même la motivation ne semblait pas être présente. Monter à cheval par contrainte ? Mais quelle idée.

Jérémie ne pourrait jamais oublier son passé. Ca restait une importante part de sa vie, ancré en lui à jamais. Almara lui avait permis de se passer de violence et de délits pour vivre. Mais ça ne lui retira pas ce qui l'avait réellement affecté dans sa vie. Ca n'avait fait que lui donner quelque chose pour compenser et la raison pour laquelle il était revenu y travailler, esquivant définitivement le monde extérieur. Mais rien ne pouvait effacé les années d'errance et de solitude. Ca avait eut le temps de forger le caractère du palefrenier, qui ne s'était qu'assagi avec le temps sans jamais disparaître pour de bon. Autant dire que ces évocations ne plurent pas au jeune homme et aurait clairement préféré que la conversation reste centré sur l'incapacité du directeur à comprendre le cheval qu'il avait devant lui ! Le peu de réponses offertes par le jeune homme semblaient avoir satisfait l'homme. Ou du moins, lui avait fait comprendre qu'il ne voulait pas s'étaler d'avantage sur la question. Jérémie en était presque reconnaissant qu'il n'insiste pas d'avantage. Dans le pire des cas, il l'aurait envoyé paître à force !

Les explications de Valerian sur la thérapie du domaine n'était pas un scoop pour Jérémie qui avait été au coeur même de l'expérience. Comme bien des pensionnaires ici, il n'y avait pas cru du tout à ses débuts. Mais l'homme qu'il était devenu aujourd'hui prouvait clairement que ça fonctionnait. Bon, peut-être que ça aurait pu mieux marcher avec lui, certes, mais personne ne serait capable à présent de reconnaître l'adolescent d'il y a dix ans. Le programme d'Almara n'était plus à prouver, mais sans doute il y avait encore beaucoup de scientifique de la vieille école qui ne croyaient pas beaucoup en ce genre de choses.

- Je suppose qu'il fonctionne toujours.

Pourquoi ça ne marcherait plus ? Si sa réouverture avait été possible, c'est bien parce que quelqu'un croyait en les bienfaits de cet endroit. Jérémie avait été affecté par la fermeture de l'endroit, il avait sentit cet atroce sentiment d'abandon revenir sur lui avec violence, comme si ce nouveau monde dans lequel il avait voulu s'intégrer réellement s'était effondré avant qu'il ne puisse y retourner.

Certes, il ne s'était pas ennuyé avec son cheval de l'époque. Mais il ne s'était pas amusé non plus, loin de là. Ca avait marché pour Jérémie, c'était l'essentiel. Ca n'avait pas été un cheval à contrainte et c'était sûrement pour ça que le jeune homme avait fini par s'y faire. Ca n'avait pas été un cheval où il fallait faire attention parce qu'il était vieux, blessé, craintif ou autre. Non, c'était juste un étalon qui ne semblait pas connaître les limites. Le problème n'était pas qu'il avait peur des Hommes, mais qu'il faisait juste comme bon lui semblait. Il vivait au pré jadis. Jérémie avait passé énormément de temps dehors, en pleine nature, et ça avait sûrement aidé aussi à ce qu'il éprouve de la sérénité pour la première fois de sa vie. Chose qui n'aurait pas eut le même effet s'il avait été contraint de s'occuper d'un cheval coincé au box. Et face à la jeunesse de l'équité, un point commun avait lié les deux êtres. Deux jeunes qui cherchaient simplement qui ils étaient dans ce monde. Le palefrenier n'avait, de ce fait, pas répondu aux propos de l'homme, s'étant contenté d'hocher la tête pour approuver néanmoins ses paroles. La ressemblance de Vanilla avec le cheval dont il avait eu la charge était sans doute ce qui avait permis à Jérémie à savoir comment s'y prendre avec elle. Mais l'animal restait néanmoins très sauvage malgré tout et ce n'était pas à lui d'entamer une complicité avec elle. D'ailleurs en parlant de ça...

- Comment avez-vous osé confier cette pauvre bête à une furie pareille ?! lança subitement le jeune homme, le regard rempli de reproche braqué sur le psychiatre, vous croyez pas que Vanilla a assez de problèmes comme ça ?

Pas la peine de lui coller une tarée sur le dos en prime. Cette bête allait faire une syncope face à cette gosse si ça continuait ainsi.

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une fois éteinte, on ne peut la rallumer.

La réponse du palefrenier ne se fit pas attendre, comme si la simple mention du nom de l’adolescente avait suffi à éveiller en lui une animosité encore non digérée. Valerian s’était-il attendu à ce reproche soudain de la part du jeune homme ? Pas vraiment et lui faisant face, le directeur abandonna sa tâche pour l’observer un instant silencieux, interdit. Qu’est-ce qui lui valait tant d’hostilité ? Son choix de confier Vanilla à une résidente telle que Tessa Taylor était certes controversé – qui de censé confierait un cheval difficile à une parfaite débutante ? – pourtant Valerian ne regrettait pas une seule seconde son choix, ni les difficultés qui en découleraient forcément. Se détournant du selle français, le directeur s’éloigna de lui pour rejoindre l’entrée du box, s’approchant de ce fait du jeune homme. En équilibre, il déposa le bouchon sur la porte, un air nouveau sur le visage. Valerian n’était soudainement plus cavalier mais directeur, et sa légèreté s’était envolée. En sa présence, personne ne s’énervait impunément.

— Je vais prendre votre élan d’amertume pour une réaction appropriée face à une information que, de toute évidence, je ne semble pas encore avoir ; plutôt qu’une cavalière remise en question de mon jugement en tant que psychiatre déclara-t-il finalement, magnanime. Taylor n’est pas la plus calme des résidentes, mais je ne regrette pas de lui avoir confier Vanilla assura-t-il.

Il y avait là, bien sûr, une partialité qui ne manquait pas de diviser les deux hommes et que Valerian avait bien compris ; pourtant, il s’efforçait de la dépasser : son rôle en tant que psychiatre était d’aider les résidents et non pas les chevaux … si Vanilla était le cheval parfait pour Tessa Taylor, Tessa Taylor était-elle la cavalière idéale pour elle ? Au premier abord non, bien sûr que non. Vanilla avait besoin d’être aidé, pas de subir les lubies d’une adolescente malmenée par la vie … et pourtant, Valerian restait persuadé qu’à sa manière, Taylor avait beaucoup à apporter à la jument. Sa vision du monde et son détachement vis-à-vis de l’équitation lui permettait de voir les choses différemment des autres, et de comprendre Vanilla bien mieux que n’importe qui, pour peu qu’elle s’en donne les moyens. La chose n’était peut-être pas évidente à l’heure actuelle, mais telle était l’intuition et – il fallait le dire – l’espoir de Valerian la concernant. Demeurait cependant une variable encore inconnue aux yeux du directeur, celle qui correspondait à la capacité de Taylor à résister au changement. Combien de temps encore l’adolescente continuerait-elle de nager à contrecourant, et qui savait quels dégâts elle pouvait causer en le faisant ? Et, finalement, s’il s’était trompé ? Et si Tessa Taylor faisait partie de ceux à qui Almara ne convenait pas ? Le risque demeurait et Valerian avait la décence de l’envisager, même si pour l’heure il se gardait bien de le montrer.

— Peut-être aimeriez-vous me faire part d’un évènement dont je n’aurai pas eu vent ? proposa le directeur.

C’était là – sans doute – une idée plus constructive que de cracher son venin sur la personne qui le payait. Alessendro n’embauchait pas des idiots et Valerian se doutait que la colère du jeune homme n’était pas infondée. Il manquait au directeur une pièce du puzzle qu’il devinait aisément, mais qui ne pourrait être confirmée que par le témoignage du palefrenier. Taylor avait-elle fait du grabuge à l’écurie sans que l’information ne lui parvienne ? Cela lui ressemblait bien. Habituellement Valerian pouvait compter sur Alessendro pour lui faire part de ce genre de problèmes, mais malgré tous ses efforts pour l’être le maître d’écurie n’était pas omniscient. Sans doute n’avait-il pas eu non plus vent de cette histoire qui mettait encore Black dans tous ses états.

Différences

Valerian

Jérémie aurait aimé ne jamais connaître la dénommée Taylor. Il prenait toujours grand soin d'éviter au mieux les résidents d'ailleurs. Bon, ce n'était pas impossible que un ou deux viennent le voir quand ils étaient perdus, ou qu'ils avaient un problème avec leur cheval, mais ça n'allait jamais plus loin. Jérémie aspirait encore à cette solitude qui pourtant l'avait rongé par le passé, car ce lien qu'il gardait avec son lui de l'époque le maintenait dans une sensation de bulle sécuritaire, familière. Son mépris des gens s'était estompé, mais il ne faisait que les tolérer à peine. Moins il les fréquentait, mieux il se portait. La compagnie équine à côté lui paraissait bien meilleure, plus saine et plus sincère. Cependant, s'il n'avait pas rencontré Taylor ce jour là, qui sait ce qu'elle aurait été capable de faire à Vanilla ? Comment aurait-il réagit en découvrant l'animal blessé par d'étranges marques sur le corps ? Qu'aurait dit Alessendro ?

Un silence s'imposa entre les deux hommes. Le directeur avait l'air de se sentir grandement concerné par l'attitude soudainement haineuse du jeune palefrenier. Non pas qu'il s'était montré plus amical l'instant d'avant, mais les éclairs qu'il lançait avec son regard signifiaient clairement quelque chose. Il ne pensait qu'à la jument. A elle et à rien d'autre. Taylor, et ses insultes, ses cris, sa brutalité...Il s'en moquait autant que du climat sur Pluton. Il y avait des teignes dans ce domaine, il en avait fait partie à une époque alors ce n'était pas une surprise pour lui. Ce n'était pas ça le plus dérangeant. Et Jérémie soutenait sans difficulté le regard du psychiatre qui avait arrêter son pansage pour le considérer un moment. Un regard qui vacilla légèrement dans les yeux du garçon d'écurie lorsque le directeur prit la décision de se concentrer sur lui et de s'en approcher. Jérémie venait de capter l'attention, et il n'aimait pas l'effet que ça lui offrait.

Effectivement, Jérémie ne pouvait pas juger des décisions du psychiatre en tant que choix de thérapie. Ce n'était clairement pas son domaine, il n'y connaissait absolument rien en psychanalyse, psychologie et autre truc du genre. Mais ça avait été plus fort que lui. Il n'avait pas réagit par raison mais par émotion. Il se moquait pas mal des raisons qui avaient poussé l'homme à confier Vanilla à cette gosse. D'ailleurs, il aurait pu confier n'importe quel autre cheval que ça serait revenu au même. Peut-être que c'était juste Taylor qui n'avait pas sa place ici. A la réponse de l'homme, Jérémie détourna la tête, le regard plus froncé que jamais, cherchant de cette manière à détourner également sa colère. Que pouvait-il faire contre la décision du directeur après tout ? Cette impuissance ne faisait que l'irriter d'avantage.

Evidemment, Valerian ne tarda pas à quérir plus d'information sur les raisons qui rendait le palefrenier subitement hargneux. A sa question, Jérémie reposa ses prunelles sur lui, les bras toujours croisés et la tête toujours dirigée sur le côté. Il poursuivit son mutisme un court instant. Il n'était pas le genre à aller rapporter toutes les bêtises qu'il pouvait dénicher tel un fourbe cafteur. C'était d'ailleurs pour ça qu'il n'avait rien dit à Alessendro sur le sujet, que rien ne s'était su en fin de compte. Il avait préféré régler ça tout seul, très peu enclin à se plaindre aux aînés. Mais bon, maintenant que la question avait été abordé, ça ne servait à rien de garder ça sous scellé. Il n'avait rien dit, certes, mais son but n'avait pas non plus été d'en faire un secret pour autant. Alors son visage fit à nouveau face à l'homme avant qu'il ne réplique :

- Si je ne l'avais pas stoppé, cette dingue l'aurait battu à coup de boucle de ceinture, ça vous suffit ?!

Il marqua une courte pause avant d'ajouter, les dents serrées :

- Je sais bien que les gosses d'ici n'ont pas tous les boulons vissés correctement mais si certains deviennent un danger volontaires pour les chevaux, ça vaut peut-être le coup de revoir leur présence ici.

Encore une fois, il n'était pas là pour dire au directeur ce qu'il devait faire ou ne pas faire, comment gérer ses patients et tout le reste. La seule préoccupation du jeune homme restait le bien-être des chevaux, pas celui des résidents. Ne pas vouloir faire d'effort, c'était une chose. Ne pas vouloir s'intéresser aux chevaux aussi. N'en avoir rien à faire, soit. Mais vouloir leur faire du mal, c'était clairement un tout autre niveau. C'était un centre équestre ici, pas un abattoir.

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Certains disent que la passion est comme une flamme :
une fois éteinte, on ne peut la rallumer.

Taylor avait laissé dans l’esprit du jeune homme une sacrée impression et c’était peu de le dire. La vérité ? L’inverse aurait été étonnant. Taylor avait ce don de marquer les esprits, peut-être pas de la meilleure des manières mais les gens qui croisaient sa route se souvenaient d’elle et c’était un point dont elle pouvait se vanter, même s’il n’y avait pas vraiment de quoi être fier. En cela elle concurrençait Kandinsky qui, tout comme elle, ne passait pas inaperçu. Ainsi, comme Valerian l’avait attendu, l’adolescente avait tenté de jouer au plus fort avec Vanilla et loin de connaître l’issue de toute cette histoire, le directeur supposa que le palefrenier s’en était mêlé bien avant que les choses ne dégénèrent. Un détail, cependant, ne manqua pas d’attirer son attention …

— Taylor a réussi à l’approcher ? s’étonna Valerian qui, septique, peinait à cacher sa surprise.

Si l’adolescente avait eu dans le projet de battre la jument, cela signifiait qu’elle avait dû s’en approcher, non ? Réduit aux descriptions un peu succinctes du jeune homme, Valerian était forcé d’imaginer. Sans doute la réaction du directeur ne correspondait-elle pas aux attentes de Jérémie, qui probablement aurait voulu le voir s’indigner des agissements de Tessa Taylor … tant pis, Valerian faisait déjà suffisamment semblant le reste du temps. Malgré tout, le psychiatre se reprit finalement.

— Vous croyez vraiment qu’une jument de 500kg se serait laissée faire ? lui demanda-t-il. Taylor l’aurait frappé une fois, pas deux : Vanilla lui aurait rendu la monnaie de sa pièce bien avant qu’elle puisse réitérer son geste. Vous connaissez les chevaux et Vanilla mieux que moi, Jérémie : si je le sais, vous le savez vous aussi.

Par la suite, le sous-entendus du jeune palefrenier – peut-être involontaire ? – n’échappa pas au directeur. Par ses paroles, Jérémie Black insinuait-il que Taylor n’avait pas sa place ici ? Valerian le prit comme ça du moins. Sa rancœur envers l’adolescente, Valerian pouvait la comprendre, et il pouvait aussi aisément comprendre la mauvaise interprétation qu’il faisait de son comportement. Taylor était-elle un danger volontaire pour les chevaux et – plus généralement – les gens d’ici ? Etait-elle singulièrement méchante, sadique, cruelle ? Non, bien sûre que non.

— Taylor n’a pas un mauvais fond, elle est juste … commença-t-il, mais les mots lui manquaient pour qualifier la jeune fille de manière adéquate. Elle ne fait que répéter un conditionnement acquit, et non pas innée. Face à la difficulté elle choisira la provocation et la brutalité, qui jusqu’à présent lui ont toujours apporté satisfaction. Pour elle cela a toujours fonctionné, alors pourquoi changerait-elle ? Cela ne fonctionnera pas à Almara, et cela ne fonctionnera pas avec Vanilla, mais elle a besoin de temps pour s’en rendre compte. Malheureusement pour nous, mademoiselle Taylor n’est pas dénuée d’une certaine fierté, qui ralentit grandement ses progrès ici … elle ne croit pas une seule seconde que cet endroit sera différent de tous les autres, et nous pourrons faire tout ce que nous voudrons pour tenter de la persuader du contraire, son avis ne changera pas tant qu’elle ne s’en sera pas rendu compte elle-même expliqua le directeur. Il fit une courte pause avant de continuer. La prochaine fois, Jérémie, n’intervenez pas. Je sais que c’est difficile, mais faites-lui confiance, faites confiance à Vanilla. C’est pour ça que je l’ai choisi, elle et pas une autre : Vanilla ne se soumettra jamais par la force, ne pliera jamais : elle enverra Taylor à l’infirmerie bien avant, soyez-en assuré.

Oui, Valerian en était certain. Loin de se douter que c’était là déjà chose faite, dès le départ Valerian avait pris cette idée pour acquise : une confrontation avec Vanilla était inévitable pour Tessa Taylor, et en vérité le directeur comptait sur ça pour faire prendre conscience à cette gamine que la violence ne résolvait pas toujours tout. Les chevaux d’Almara avaient cette particularité-là : celle de ne pas se soumettre à la brutalité et de cette idée, Vanilla en était l’ambassadrice. Valerian était sûr de lui, oui, pour autant il n’était pas sourd aux paroles du palefrenier. Si le psychiatre était doté d’une forte indépendance en matière de pensée, avec le temps il avait acquis la sagesse d’entendre les avis des autres, bien qu’il avait encore pas mal de chemin à faire de ce côté.

— Cela étant, je tâcherai de la garder à l’œil assura Valerian. Un cours d’enrichissement se prépare, elle fera partie des heureux élus à être sélectionné. J’y serai, nous verrons bien comment elle se comporte déclara le psychiatre. Je verrai avec Benjen pour lui donner un cheval qui la dissuadera de perdre son sang-froid … Soldat pourrait faire l’affaire.

Valerian n’était pas naïf : ils n’étaient pas au bout de leur peine avec Taylor et l’adolescente n’avait pas finis de les étonner, mais le directeur n’en était pas moins tenace. Le résident qui lui ferait baisser les bras n’était pas encore né.

Différences

Valerian

Le directeur était surpris. Mais pas du fait que l'adolescente ait voulu battre un cheval, juste le fait qu'elle ait pu l'approcher. Jérémie resta un moment interdit. Cet homme n'en avait peut-être rien à faire des chevaux en fin de compte. Il consentit toutefois à répondre :

- Euh...Non, enfin elle essayait.

En courant bêtement derrière, soit. Mais Jérémie n'avait pas voulu attendre qu'elle parvienne à avoir Vanilla à portée de ceinture pour agir. Même si la jument fuyait la jeune fille, celle-ci aurait pu réussir à l'avoir à l'usure, ou par un coup de chance si le cheval passait un peu trop près d'elle dans sa fuite, acculée dans un coin de pré. Enfin, peu importe, c'était surtout l'intention de Taylor de vouloir faire du mal qui posait problème. Le psychiatre voyait juste dans le sens où Vanilla se serait vengée. D'ailleurs...Elle s'était vengée, mais pas de la ceinture. Et Taylor l'avait plus que mérité. Mais là encore, ça ne changeait rien pour Jérémie. Elle l'aurait frappé une fois, c'était suffisant pour lui sur le fait qu'elle aurait fait mal à l'animal, que ce dernier se défende derrière ou non. Le jeune homme se renfrogna, ne pouvant pas donner tort à l'homme, sans toutefois lui donner autant raison pour autant.

- Peut-être ! rétorqua t-il, mais est-ce que c'est une raison pour accepter ça ?

Puisque le sort des chevaux l'indifférait apparemment, il pourrait au moins se dire que si elle était capable de fouetter un cheval, elle serait en mesure de blesser d'autres résidents dès que quelque chose ne lui plaisait pas. Valerian se mit alors à exposer ce qu'il savait de la jeune fille et c'était en effet ce qui manquait probablement à Jérémie pour comprendre la chose. Quoi que le jeune homme, loin d'être psy et compréhensif, avait du mal à se faire une raison. Le garçon d'écurie écoutait néanmoins le raisonnement de l'homme face à lui sans dire un mot. C'était sans doute la première fois qu'on lui dressait le profil psychologique d'un résident. Pendant un moment, tout allait bien. Jusqu'à ce que l'homme lui demande de ne pas intervenir la prochaine fois. Les yeux de Jérémie s'arrondirent comme des soucoupes, outragé et demeura un instant sans voix devant une telle décision. "Faites lui confiance". Clairement pas. Il pouvait bien faire confiance à Vanilla pour envoyer Taylor à l'hôpital mais c'est tout.

- Vanilla n'a pas besoin de quelqu'un qui hurle et la menace à tout va, riposta t-il, ça ne la fera que plus stresser et s'angoisser des gens.

Le psychiatre savait sans doute ce qu'il faisait. Du moins, pour les résidents. Pensait-il seulement à ce que les chevaux subissaient en attendant que les jeunes se décident enfin à faire des efforts ? Et si jamais Taylor ne s'y mettait jamais ? Et si elle s'entêtait à vouloir user de violence et de colère ? Jérémie lâcha un soupire. La garder à l'oeil...Une bonne intention, mais est-ce que ce sera suffisant ? Le jeune homme resta songeur au choix du directeur, ayant l'image de Soldat qui apparu dans son esprit. Quelle brave bête...Bien trop gentil pour une brute comme Taylor. Enfin, en cours commun, ça devrait sans doute mieux se passer. Là, elle avait été seule dans un pré pour faire sa maligne mais en public, peut-être qu'elle se tiendra un à carreau.

- En supposant qu'elle soit en état, répondit-il alors en observant le reste de l'écurie, en vérité Vanilla a déjà pu avoir sa petite revanche.

Il s'en réjouissait. Il cherchait à le cacher mais le ton léger de cette annonce prouvait le contraire, surtout comparer au ton qu'il avait pris lorsqu'il avait révélé les mauvaises intentions de l'adolescente. Ca avait été son seul réconfort de cette journée : que Vanilla la calme elle-même. Dommage que la jument ait dû se laisser à son tour emporter par la violence pour se faire entendre. Il n'y avait donc personne qui serait en mesure de comprendre cette pauvre bête...?

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Certains disent que la passion est comme une flamme :
une fois éteinte, on ne peut la rallumer.

De toute évidence, la pilule avait du mal à passer. Non, Jérémie ne supportait pas la position de Vanilla dans cette situation et loin d’y être indifférent, Valerian n’y pouvait cependant pas grand-chose. Hayes restait psychiatre et non pas soigneur et sans le cacher, il pensait à ses résidents bien avant ses chevaux. Valerian voyait en l’animal un outil thérapeutique et il faisait confiance à ses employés d’écurie pour sonner l’alarme quand quelque chose allait selon eux trop loin … cela dit, la confiance du directeur demeurait restreinte, tout autant que le nombre de personnes dont l’avis lui importait. Se fichait-il de celui de Jérémie ? Non, mais force était de constater que sa voix avait bien moins d’importance à ses yeux que celle d’Alessendro. Cela n’avait rien de personnel : en tant que médecin, Valerian avait appris à faire le tri et à déterminer qui était digne d’intérêt ou non. Pour cela, il lui fallait du temps et du temps, c’était exactement ce qu’il n’avait pas eu avec Jérémie Black. Il le connaissait depuis quoi, cinq minutes ? Qu’est-ce qui pouvait bien lui certifier que le garçon ne criait pas au loup pour rien ? Le conseiller sur un cheval de club était une chose, lui faire revoir sa thérapie une autre.

— Vanilla n’est pas la plus à plaindre ici. Elle peut bien encaisser quelques revers de médaille affirma le directeur. Reconnaissez qu’elle a sa part de caractère, et qu’à son niveau elle est aussi pénible que Taylor.

C’était peu de le dire. Cette saleté de canasson semblait prendre un malin plaisir à franchir les clôtures pour, semblait-il, aucune raison. Vraiment, n’avait-elle pas tout à portée dans sa prairie ? Valerian avait cru que cette habitude lui serait passée, mais il avait semblait-il eu tort. Non contente de s’évader, Vanilla mettait sur son passage une pagaille sans nom qui mettait la sécurité de tous en péril, y compris la sienne. Non, Vanilla n’était pas la plus sage de leur pensionnaire …

— Je ne prétends pas que son caractère n’est pas justifié ni qu’elle n’a pas besoin d’aide, mais elle n’est pas non plus la plus vulnérable de nos pensionnaires. Nous supportons bien ses sauts d’humeur, elle peut bien supporter ceux de Taylor de temps en temps ajouta-t-il. Dans sa voix ne résidait aucun sadisme, aucun désir de vengeance, seulement un désir singulier d’équité. Taylor finira par se calmer, ce n’est qu’une question de temps assura-t-il.

Valerian n’en voulait pas à cette bête en particulier, mais il avait pour habitude de donner aux gens le juste retour des choses. D’avance, il savait que ses paroles de plairaient pas au palefrenier, mais que pouvait-il bien faire ? Pleurer à son tour sur le sort de la jument ne servirait à rien, et revenir en arrière n’était pas tellement une option.

— De toute manière, Jérémie, je n’ai pas tellement d’autre choix que de la lui laisser ajouta Valerian. Lui faire changer de cheval à ce moment de sa thérapie serait contre-productif, Taylor comprendrait qu’il lui suffirait d’être mauvaise avec un cheval pour en avoir un nouveau et, par extension, ce qu’elle veut expliqua-t-il. Je sais que cela vous pèse, mais si cela peut vous consoler, à terme Taylor devra réparer tous les tors qu’elle aura pu faire à Vanilla. Cela lui servira de leçon et ne manquera pas de lui faire comprendre que certaines choses ne se réparent pas aussi facilement que d’autres. En attendant, je suis navré que la jument doive en pâtir … si vous pensez avoir une autre alternative qui pourrait nous contenter tous les deux, je suis tout ouïe déclara le directeur.

Non, Valerian n’était pas fermé aux idées des autres. La vérité ? Le psychiatre en entrevoyait déjà une, qui risquait pour le coup de ne pas tellement plaire au palefrenier mais qui lui permettrait au moins de s’assurer du bon traitement de la jument. Cette idée, Valerian la conserva dans un coin de son esprit, qui bientôt fut interpellé par autre chose. De quoi, Vanilla avait déjà obtenu vengeance ?

— Qu’entendez-vous par là ? le questionna le directeur, trop peu certain du sous-entendu.

Différences

Valerian

Les positions des deux protagonistes sur la question étaient radicalement opposées. Valerian s'intéressait bien plus à ses résidents qu'aux équidés, et Jérémie c'était l'inverse. A vrai dire, il pourrait voir un résident se battre avec un autre qu'il s'en moquerait totalement. Il pourrait même assister à un trafic de drogue sous son nez qu'il ne réagirait absolument pas. En revanche, si on tire un peu trop sur la corde avec un cheval, là c'était autre chose. Chacun ses priorités. Et Jérémie se moquait pas mal du sort des humains. Personne ne s'était soucier du sien par le passé après tout. Rancunier ? Totalement. A croire qu'il en oubliait ce qu'Almara ou Jacques avaient fait pour lui. Ce n'était pas le cas. Cependant, il restait plus reconnaissant envers les chevaux du club de Jacques et ceux d'Almara qu'envers les personnes qui avaient permis cela. Ingratitude ? Hm. Peut-être un peu quand même.

- Non, répliqua le jeune homme en haussant un sourcils, le seul moyen de faire aussi pénible que Taylor serait de la cloner.

Il n'était pas objectif évidemment. Vanilla aurait pu le piétiner sur place qu'il sera encore prêt à la défendre face à Taylor. Il mettra toujours les chevaux en avant par rapport aux personnes, c'était indéniable. Mais d'un autre côté, ce n'était pas difficile de prendre la défense d'un animal quand il y avait Taylor dans l'équation. La seule chose que Jérémie pouvait reconnaître, c'était que Vanilla avait du tempérament.

- Ce n'est pas parce que ce n'est pas la plus vulnérable qu'il faut la négliger.

Et sans doute que la réaction de Jérémie aurait été bien pire s'il avait surpris un résident s'en prendre à un cheval qui n'avait pas la force ou le mental de résister ou se défendre face à une agression. Parce que mine de rien, il y en avait des chevaux gentils et dociles ici. Des chevaux faibles, et blessés. Mais Taylor se serait-elle montré violente avec un animal qu'il fallait soigner au lieu d'apprivoiser ? Jérémie n'en savait rien, il ne connaissait pas assez la jeune fille. Etait-elle capable d'être aussi méchante avec un animal qui ne lui aurait causé aucun soucis ? Les choses n'auraient-elles pas été mieux ainsi du coup ? Le psychiatre avait l'air certain de ses dires, que l'adolescente finirait par se calmer. Jérémie souffla, signifiant qu'il en doutait fortement et qu'il trouvait ça même absurde de croire ça possible. Tout ce qui pourrait calmer cette furie serait une fracture de la colonne vertébrale.

Oh Jérémie n'espérait pas que l'homme change d'idée, ou revoie sa thérapie. Il était bien conscient que seul le psychiatre pouvait décider de ce qui était le mieux ou non pour les résidents, quitte à ce que les chevaux en souffrent. Ce qui était fait, était fait. Il n'en espérait pas tant. D'ailleurs, il n'avait rien espéré du tout en confiant tout ça au directeur. Mais au moins, il aura mis ce dernier au courant quand même. Tant pis si ça n'aboutirait à rien. Mais c'était le directeur quand même, alors cette information devait bien lui parvenir un jour ou l'autre. Histoire qu'il ne s'étonne pas le jour où Taylor se pointera dans son bureau avec des côtes fêlées. Jérémie lâcha alors un profond soupire, gardant le silence encore quelques secondes. Une alternative, non, il n'en avait pas. Pour la simple et bonne raison qu'il n'y connaissait rien en thérapie et ne pouvait rien se permettre de proposer. Il préféra ne rien dire en guise de réponse. A la place, il fit part à l'homme du retour de la jument sur la résidente. Le psychiatre demanda plus d'information et Jérémie haussa les épaules en répondant d'un ton détaché :

- On va dire qu'elle l'a cherché suffisamment pour que Vanilla la charge et ne la bastonne à coup de sabots. Je lui avais suggéré d'aller à l'infirmerie mais je doute qu'elle l'ait fait.

Bof, si elle avait préféré souffrir hein, tant pis pour sa pomme.

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Valerian fit le choix de ne pas relever les derniers propos du palefrenier concernant Vanilla. A quoi bon ? L’un comme l’autre étaient restreints par des motivations aussi différentes que personnelles et leur désaccord était le seul point sur lequel ils pouvaient s’entendre. Le jeune homme n’était pas dénué d’une mauvaise foi relative, qui manqua de faire sourire le directeur … Vanilla et Taylor, pas si semblables que cela ? Sans doute son amour pour cette jument obscurcissait-il son jugement ; quant au reste Valerian ne trouvait pas que la situation de Vanilla lui permettait de dire qu’il la négligeait à proprement parler. Valerian ne la ménageait certes pas, mais il ne la négligeait pas … et puis, c’était toujours mieux que de là où elle venait, non ? Valerian n’était pas un enfant de cœur, mais il n’en était pas pour autant inconscient : Valerian Hayes restait un homme prudent. S’il avait donné Vanilla à Tessa Taylor, c’était parce qu’il avait jugé la jument apte tant physiquement que mentalement à résister à cette harpie. Le psychiatre n’était pas homme à risque et n’aurait jamais tenté le diable si le doute l’avait traversé. Hélas, Jérémie ne semblait pas partager son avis … tant pis, on ne pouvait décemment pas plaire à tout le monde.

Lorsque le jeune palefrenier lui raconta la petite aventure de Tessa et la leçon physique qu’elle avait semblait-il reçu, Valerian dut faire un effort considérable pour ne pas sourire. Si le médecin qu’il était s’inquiétait bien évidemment des potentielles conséquences de cet épisode, l’homme qui avait dû supporter cette gamine durant son arrivée au domaine n’en était que trop satisfait. Sans doute l’adolescente avait-elle dû ravaler son orgueil et Valerian aurait donné n’importe quoi pour être là, et savoir que rien de grave n’était finalement arrivé était d’autant plus jouissif … car après tout, Valerian ne se souvenait pas d’avoir appelé les pompiers, ni d’avoir accompagné Taylor à l’hôpital. Pour lui, c’était tout bénef.

— Je n’ai pas eu de retours à ce sujet. Sans doute les dégâts devaient-ils être minimes, autrement quelqu’un au domaine s’en serait rendu compte déclara le directeur lorsque Jérémie émit l’hypothèse tout à fait plausible de la non prise en compte de ses conseils par Taylor. Cependant, j’aurais aimé en être informé. Faites-le la prochaine fois ajouta-t-il. Si Valerian avait jusqu’à présent mis des gants pour s’adresser au jeune homme, son ton venait de se faire plus strict, plus autoritaire. Venait-il de lui donner un ordre ? Cela s’y apparentait du moins. Je sais que les résidents ne relèvent pas de votre responsabilité, mais aucun détail ne doit nous échapper. Vous êtes de l’autres côté désormais, Jérémie : à votre niveau vous aidez également ces jeunes, même si ce n’est pas votre tâche principale ni votre motivation première.

Motivation tout court, sans doute. Non, Jérémie n’était pas là pour materner les résidents, mais cela ne signifiait pas qu’il ne devait pas y faire attention. Valerian ne lui demandait pas de les psychanalyser ni d’être en mesure de réagir correctement face à certains de leurs troubles, mais le jeune homme se devait de rester attentif et d’écouter. Bien plus qu’il ne pouvait le croire, les employés d’écurie jouaient également un rôle dans la thérapie des résidents et en tant qu’ancien patient, Jérémie l’avait sans doute oublié. En tant que psychiatre et maître des lieux, Valerian n’avait pas toujours la confiance de ses résidents et loin de l’ignorer, il comptait sur ses employés pour être ses yeux et ses oreilles lorsqu’il ne le pouvait pas. Si le domaine était connu pour offrir aux chevaux une seconde chance, leur mission principale était avant tout de venir en aide aux jeunes. Jérémie avait beau lui reprocher son partis-pris, les chevaux à eux seuls ne permettaient pas au domaine de prospérer. Cela aurait pu être le cas s’ils avaient tous été des Vagabone, hélas la jument de course était la seule dans son cas et si les dons de son propriétaire, Mahauri, leur avaient donné une bonne avance, l’argent filait vite lorsqu’il s’agissait des chevaux. Les résidents demeuraient leur principale source de revenus et la venue de nouvelles têtes reposait sur la capacité du domaine à tenir ses promesses les concernant … et pour ce faire, tout le monde devait mettre la main à la patte, même ceux qui n’y étaient pas particulièrement disposés ni même prédisposés.

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Valerian

En effet, il se pourrait bien que Jérémie se montre tout sauf objectif face à la situation. Mais jusqu'à présent, Vanilla lui avait parut moins pénible avec lui depuis qu'il avait été embauché ici que Taylor avait su l'être en quelques minutes seulement de conversation avec elle. Mais bon, entre un humain et un cheval, c'était évidemment que ce soit le cheval qui remporterait la manche dans le coeur du palefrenier. En tout cas, le psychiatre n'avait pas l'air chamboulé à l'idée que l'adolescente se soit faite corriger déjà par la jument. Sans doute justement parce qu'il avait plus ou moins prévu le coup en lui confiant cette dernière. Et c'était là pour Jérémie sa seule consolation : que Taylor se fasse réduite en miette par les sabots de l'équidé dès qu'elle y allait un peu trop fort. Sur ça, le directeur n'avait pas tort, il fallait le reconnaître. Enfin bon, c'était néanmoins plus fort que Jérémie que de vouloir protéger les chevaux, surtout de la violence humaine. Lorsqu'il avait vu l'adolescente brandir cette ceinture, son sang n'avait fait qu'un tour et même si on lui avait déjà demandé de se tenir en retrait à ce moment là, il n'aurait sans doute pas écouté.

Les dégâts ? Jérémie ne s'était jamais renseigné sur ce qu'avait subit Taylor. Elle avait eut mal, c'était une certitude. Mais niveau gravité, il ne savait pas du tout. Il n'avait pas cherché à savoir et s'en moquait comme de l'an 400. Il faudra tout de même qu'on lui dise un jour ce qui s'était passé en l'an 400 pour qu'on s'en fiche autant...Il n'avait pas revu la jeune fille depuis ce moment là, mais n'avait pas vu d'ambulance débarquer en toute hâte au domaine, ni même l'ombre d'une trousse de secours en vadrouille. Ca ne devait donc pas être bien grave. S'en était presque dommage d'ailleurs. Mais d'un autre côté, il n'avait pas non plus envie que Vanilla en pâtisse en se retrouvant qualifier de trop dangereuse. Le ton employé par l'homme qui désirait néanmoins être averti de ce genre de situation ne plu guère au garçon d'écurie dont le regard s'était quelque peu durci sans pour autant qu'il n'émette de réticence. Un soupire résigna fut lâché pour toute réponse. Mais d'un autre côté, ça paraissait un peu logique que ce genre d'informations se devaient de circuler. Si l'homme se souciait peu des chevaux, il avait l'énorme responsabilité de garder ses pensionnaires en un seul morceau. C'est qu'il devait avoir des familles sur le dos sans doute, ou les autorités du pays à défaut.

Jérémie n'avait absolument aucune motivation, ni désir même de s'occuper des résidents. Moins il les voyait, mieux il se portait. Cependant, il disposait tout de même d'un niveau de tolérance. Quand on le faisait pas chier, les choses se passaient relativement bien, comme lorsque ce jeune blond, Camille, était venu quérir son aide pour s'occuper de Vagabonde. A ce moment là, le palefrenier n'avait, certes, pas été le plus à l'aise, néanmoins il n'avait pas rechigner à la tâche. Il s'était montré patient -plus qu'il ne l'aurait cru d'ailleurs-, avait répondu à toutes les questions, avait expliqué ce qu'il fallait à l'adolescent et...le courant était plutôt bien passé. Mais tous les pensionnaires n'étaient pas aussi cool que le jeune sportif. D'autant plus que Jérémie avait tout de même accepté un infime effort avec Taylor en lui accordant une chance minime d'en faire de même. Cela dit, il n'avait pas vraiment eut de réponse adéquate à ce moment là...Au pire, tant pis pour elle, tant mieux pour lui. Contrairement à d'autres employés du domaine qui devaient se donner à coeur joie d'aider les jeunes, ce n'était pas dans les objectifs de l'ancien résident et la seule chose qui l'empêchait de l'ouvrir face au directeur était qu'il tenait beaucoup trop à son poste ici. A la place, il préféra couper court à cette conversation trop désagréable et, après un moment de silence, déclara :

- Je crois que Guappelou s'impatiente.

Son regard avait dévié derrière le psychiatre, sur l'équidé qui s'en moquait probablement. Mais peut-être se demandait-il aussi pourquoi son pansage ne se poursuivait pas comme d'habitude.

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Certains disent que la passion est comme une flamme :
une fois éteinte, on ne peut la rallumer.

Avisé, le jeune palefrenier mit un terme à leur discussion bien avant qu’elle ne dégénère. Loin d’ignorer son stratagème, le psychiatre l’observa un instant avant d’entrer dans son jeu et de se tourner vers Guappelou qui, loin de s’impatienter, continuait de manger son foin dans l’ignorance la plus totale. Le garçon avait là une sagesse peu commune sur laquelle Valerian n’aurait jamais parié, celle de savoir lorsqu’un combat était vain. Abandonnait-il vraiment par choix, ou bien par peur de perdre son job ? Sans doute Valerian ne le saurait-il jamais, mais le jeune homme avait certainement dû comprendre que débattre avec le psychiatre était tout bonnement impossible, lui dont l’argumentaire ne semblait avoir aucune limite … oui, Valerian avait réponse à tout et Jérémie faisait bien de laissé tomber.

Valerian entra donc dans son jeu, oui, sans ignorer cependant ce que la diversion du garçon signifiait : Jérémie n’était pas d’accord avec ce qu’il venait de dire, certainement trop pour pouvoir l’exprimer et préférait passer son désaccord sous silence plutôt que de se risquer à … à quoi d’ailleurs ? A l’envoyer balader ? Sans tout à fait savoir ce qui poussait Jérémie au silence, le psychiatre préférait le croire diplomate plutôt que trouillard.

— Hum, vous avez raison fit remarquer le directeur en reprenant entre ses mains le bouchon posé quelques instants plus tôt. Son regard glissa en direction du cheval, s’y attarda un instant. Merci pour le filet, Jérémie ajouta-t-il finalement, non sans gratifier une dernière fois le garçon du regard. Si jamais vous avez de nouveau un problème avec Taylor, n’hésitez pas à m’en faire part.

Quelque chose lui disait que le garçon n’en avait pas terminé avec cette jeune fille. Sans demander son reste, Valerian entendit le jeune homme s’éloigner puis disparaître, abandonnant non sans un certain soulagement le directeur et Guappelou. D’un mouvement caractéristique du poignet, Valerian avisa l’heure … cette petite entrevue avec Jérémie avait mis en déroute son planning de ministre. Alessendro lui pardonnerait-il son retard ? Valerian ne tarderait pas à le savoir … sans plus attendre, il sella et brida le cheval, puis se surprit à repenser à ce que le garçon lui avait dit. Confier Vanilla à Tessa Taylor avait-il été sage ? Avait-il été trop loin dans ses méthodes ô combien discutables et discutées ? Si la gamine s’en était visiblement tiré avec quelques égratignures et surement des courbatures, que se serait-il passé si la jument lui avait brisé les os et engendré des dégâts irréversibles ? Valerian aurait eu tort de ne pas l’envisager. Malgré tous ses défauts et tout ce qu’elle méritait, Tessa restait sous sa responsabilité, sous sa garde, et Almara n’avait pas besoin d’un procès sur le dos. Alors quoi, la changer de cheval ? Non, ç’aurait été là une erreur qu’il ne pouvait pas se permettre de commettre … tout ce qui lui restait à faire était d’assumer et, dans une moindre mesure, prier dans l’espoir que Tessa Taylor s’assagisse enfin. S’armer de patience était sa seule option, car ce n’était de toute évidence pas demain la veille.

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