Décembre 2018. Ciel gris et vent frais, un peu comme l’esprit de Naomi à ce moment-même. Elle a besoin de prendre l’air, de se changer les idées. La réouverture du haras aux ambitions thérapeutiques a été plus éprouvante qu’elle ne l’aurait pensé, abandonnant certaines de ses activités favorites comme le sport ou même son métier de professeur de lettres. Naomi n’est pas revenue au lycée dans lequel elle travaillait en septembre. Finalement, elle ne pourrait conjuguer son nouveau poste à Almara et s’investir davantage dans l’éducation de ses élèves. Même si la décision avait été mûrement réfléchi quelques mois avant cela, elle semble toujours autant difficile à encaisser… Et cela déteint sur sa relation avec Marc, son fiancé, qui ne comprend pas sa dévotion pour le domaine… Et plus particulièrement sa relation avec le Docteur Hayes.
Elle avait beau avoir fait mariner Valerian quant à sa décision pour le poste de sous-directrice, au fond d’elle, il n’y avait aucun doute. Reprendre le Domaine d’Almara était le seul moyen pour elle de perpétuer la mémoire de William Hayes. Refuser aurait été perçu comme une trahison. Mais Marc ne le voyait pas de cet oeil. Inquiet (et peut-être jaloux), il ne pouvait s’empêcher de reprocher à Naomi de ne plus prendre du temps pour leur couple, ni pour elle. Elle s’était dévouée corps et âme au projet passant le plus clair de son temps avec un fantôme du passé qu’avec son chéri… Signe d’un avenir un peu plus prometteur. Non, décidément, Marc n’arrivait pas à comprendre. Et elle ne pouvait lui en vouloir : jamais elle n’avait mentionné le nom de Valerian à son fiancé. Pour la simple et bonne raison que, depuis l’enterrement de William, Naomi avait tout fait pour l’enfouir dans un coin de sa mémoire.
6 ans, ce fut le temps où la relation entre Naomi et Valerian n’existait
plus. L’enterrement de William avait définitivement marqué la fin de quelque chose entre les deux, et Naomi pensait s’y être fait. Jusqu’à ce fameux appel.
Naomi vivait donc des changements éprouvants dans sa vie et les inquiétudes de Marc n’arrangeaient pas les choses. Elle avait l’impression qu’il ne lui faisait pas confiance et la jeune femme n’avait pas besoin de cela ces derniers temps. Elle ne doutait pas de son amour pour elle, il n’aurait pas ce genre de réaction autrement… Mais elle devait avouer qu’elle pouvait douter du sien pour lui. Peut-être avait-elle finalement accepté de sortir avec lui par peur de se retrouver seule… ou pour d’autres raisons. Elle n’en savait rien. Elle ne savait plus.
C’est pour cela qu’elle avait décidé de troquer son habit de sous-directrice pour sa tenue de cavalière. Elle avait ressorti son pantalon cappuccino, accompagné d’un polo noir, d’une veste cavalière dans les même tons (pour ne pas avoir froid) et de ses nouvelles bottes d’équitation qui lui avaient couté une petite fortune. Aujourd’hui, elle irait faire la connaissance de Gandja.
Elle avait seulement prévu de passer un peu de temps avec elle, la panser et aller se balader en longe dans le domaine. Pour Naomi, rien de tel pour connaitre un cheval. Elle a eu une période où elle s’était beaucoup intéressée au travail à pieds et à ses vertus, sans pour autant être experte en la matière, elle s’était plutôt bien renseignée. Mais la vie avait fait que ses plans furent mis de côté.
Au niveau de son box, la majestueuse Marwari aux oreilles courbées, ne daigna pas saluer la nouvelle venue. Peu encline à aller vers les autres, Gandja semblait s’effacer dans son box. Mais Naomi resta là, quelques instants, en silence. Puis elle lui présenta une friandise afin de l’appâter, rien ne servait de la brusquer davantage, elle ne souhaiterait être perçu comme un élément perturbateur. Elle sentait que la jument n’était pas si rassurée que cela, pourtant, cela ne l’empêcha pas de sentir la friandise avant de la gober. Naomi eut un sourire et partit à la recherche d’un licol.
Doucement, elle entra dans le box de la jument qui ne bougea pas d’une oreille, elle se présenta de nouveau à elle et les naseaux de la grande noire se posèrent dans le creux de sa main. Ainsi, Naomi passa le licol et l’attacha.
Elles se rapprochèrent de l’endroit où se trouvaient le matériel nécessaire aux soins équins. Naomi apprécia la mélodie des lieux. Les claquements des sabots dans les habitacles, les reniflements des naseaux ou encore les ébrouements de certains.
Une fois attachée, Naomi s’attarda sur les lignes de sa silhouette. Gandja était affreusement maigre… Ce n’est pas pour rien qu’elle était ici. Naomi savait qu’elle était entre de bonnes mains, entre les siennes mais aussi celles des employés du domaine. L’objectif de la sous-directrice, qui avait souhaité avoir un cheval à sa charge, restait simple : redonner du poil de la bête. Et ceci ne serait pas chose aisée. Naomi allait devoir s’entourer de professionnels, en commençant par un vétérinaire… Elle n’avait jamais eu l’occasion de faire reprendre du poids à un cheval. Elle savait que le travail serait long mais cela en vaudrait la peine.
Si jamais Naomi souhaitait monter à cheval, elle irait emprunter un cheval de club… Pour l’heure, ses objectifs résidaient ailleurs.
Peu sûre d’elle, la jument était sur l’oeil. Elle regardait le moindres faits et gestes de la cavalière. Naomi faisait attention, prenant compte du caractère peu courageux de la Marwari. Cela serait bête de commencer leur relation sur un mauvais, bien que tout est rattrapable… C’est bien pour cela que l’idée du pansage et d’une balade en main lui semblait bonne.
En attrapant une première brosse, elle sentit la jument s’agiter. La jeune femme se chargea de la calmer, en vain. Malgré tout, la grande noire se laissa faire. Naomi ressentait qu’elle se tendait à chaque coups de bosse, aussi doux étaient-ils… Elle ne comprenait pas, sur le coup. Alors, elle continuait, testant d’autres zones afin de s’assurer qu’elle ne soit pas blessée… Apparemment, tout était correct de ce côté-là. Elle continua alors, avec une brosse plus douce… Mais quand elle voulut démêler les crins, la jument eut un geste un peu plus violent, signe d’inconfort qui lui était propre.
Il n’en fallut pas plus à la sous-directrice pour conclure que la jument n’appréciait pas des masses la séance de pansage… Ou du-moins, qu’elle en était sensible. Elle abandonna alors, préférant laisser quelques grains de poussière pour s’occuper des pieds.
Elle finit par lui donner une friandise qu’elle avait laissé dans un coin de la sellerie avant de lui gratter le garrot.
« - Et bien… On va essayer d’apprendre à se connaître autrement… » murmura-t-elle.
Naomi sentait qu’elle allait devoir être créative avec Gandja… Et avec tout le travail du domaine, ce ne serait pas une mince affaire…
Mais elle était prête à relever le défi.